dimanche 24 mars 2013

WEB ATTITUDE ET CYBER CULTURE

Lien vers l'émission QUESTION D'ACTU présenté par Sabrina Superviele et diffusé sur ANTENNE REUNION.

Aux cotés de M.l'adjoint au Maire de la Ville de Saint-Paul Emmanuel Séraphin ainsi que de M. Laurent Fontaine Directeur des activités Internet à Antenne Réunion, nous avons débattu ensemble du thème CYBER CULTURE ET WEB ATTITUDE.
Pour revoir l'émission cliquez ici : Question D'actu CYBER CULTURE et WEB ATTITUDE

vendredi 8 mars 2013

LE « COPIER COLLER » DE CGV PEUT ETRE PUNI !



Voila deux décisions qui refroidiront les adeptes du « copier-coller » : reprendre les conditions générales de vente mises en ligne sur un site Internet concurrent afin de les appliquer à son propre site de vente en ligne, c’est mal !



Sur Internet, grande est la tentation de succomber aux appels lancinants du clic droit, qui tel le chant des sirènes, incite à dupliquer le contenu des autres et en profiter sans dépenser le moindre centime d’euros. En étant réaliste : cette pratique est répandue… car tellement facile : une demi-seconde, 2 clics et c’est fait !

Or cette pratique si simple et facile à mettre en œuvre porte souvent atteinte aux droits d’autrui

En matière de sites de vente en ligne, il arrive fréquemment qu’un entrepreneur désireux de s’économiser les frais d’avocats pour la rédaction de ses conditions générales de vente (CGV), choisisse tout simplement de reprendre celles d’un autre site à son propre compte par le biais de la technique du copier coller.

Bien évidemment, nous ne saurions encourager de telles pratiques, d’abord pour la raison évidente que des conditions générales de ventes applicables à une activité économique en ligne ne le sont pas ipso facto à une autre activité même s’il s’agit d’un domaine d’activité identique ou similaire. Rédiger des conditions générales de vente suppose une parfaite connaissance de l’activité concernée et des limites posées tant par la loi que par la jurisprudence laquelle est en constante évolution. C’est là la valeur ajoutée du professionnel chevronné du droit qui va, par le choix des mots et de la tournure de ses phrases, articuler chaque clause des CGV de la manière la plus sécurisante qui soit, en particulier s’agissant de la délicate clause limitative de responsabilité. N’oublions pas que le client est désormais surprotégé par l’effet du droit de la consommation qui prend de plus en plus en considération la situation du cyberconsommateur ! Faut-il ainsi rappeler que le Cybercommerçant est astreint à une responsabilité de plein droit assortie de causes d’exonérations strictes, faisant ainsi peser sur lui une épée de Damoclès quant à l’exécution correcte de la transaction réalisée par voie électronique[1] ? Faut-il également rappeler que la définition juridique du commerce électronique est extrêmement large de sorte qu’elle englobe même des activités de fourniture d’information à titre onéreux ou gracieux dès lors que celles-ci sont réalisées en ligne !

On l’aura compris, dans un contexte aussi évolutif, le recours à un professionnel du droit pour rédiger ses CGV est une garantie pour plus de sécurité juridique, sachant qu’inexorablement  le Cybercommerçant aura à faire face à des réclamations.

L’autre raison qui devrait décourager les candidats du copier-coller de CGV, c’est le risque de sanction judiciaire ! En effet, deux décisions de justice viennent clairement sanctionner cette pratique :
  • un premier arrêt de la Cour d’Appel de Paris du 24 septembre 2008 dans l’affaire Vente privée c/o Kalypso[2],
  • puis un jugement du Tribunal de Commerce de Paris du 22 juin 2012 Alban B c/o Michaël M[3].

De manière unanime, ces décisions considèrent que la reprise des CGV d’un site par un autre est constitutive d’un acte de parasitisme économique justifiant l’attribution de dommage et intérêt en réparation du préjudice causé.
On rappellera que le parasitisme économique caractérise l’ensemble des comportements par lequel un acteur économique s’imisse dans le sillage de l’activité économique d’autrui sans bourse délier et afin d’en tirer profit. A la lumière de cette définition, il n’est pas surprenant que le copier-coller de CGV ait pu être épinglé à ce titre, puisque le copieur réalise une réelle économie en reprenant les CGV rédigées voire achetée par un concurrent auprès d’un avocat : il s’agit d’un « avantage concurrentiel indu » comme le soulèvent les juridictions précitées.

Le copier-coller de CGV pourrait-il d’avantage constituer une contrefaçon ? Cela supposerait alors que les CGV puissent être considérées comme une œuvre littéraire et artistique et donc qu’elles satisfassent à la condition d’originalité, critère impératif d’application du droit d’auteur.

Bien que les décisions susvisées n’aient pas retenu ce choix, cette piste n’est néanmoins pas à exclure et on rappellera utilement un jugement du tribunal de commerce de Paris du 4 septembre 1989 considérant qu’un contrat de crédit proposé par un organisme de crédit remplissait la condition d’originalité et dès lors pouvait bénéficier de la qualification d’œuvres protégeables par le droit d’auteur[4].

Reste la question de l’indemnisation du préjudice causé par ce fameux copier-coller. Les décisions susvisées traduisent la volonté des juges d’adapter la réparation à la réalité du préjudice dans chaque espèce, ce qui explique que la cour d’appel de Paris ait évalué le montant des dommages et intérêt à 10 000 € dans l’affaire venteprivée.com, contre seulement 1 000 € dans l’affaire Alban B rendue par le Tribunal de Commerce de Paris estimant dans cette dernière que le préjudice était limité.

Les adeptes du copier-coller de CGV n’ont qu’à bien se tenir !


Source : CCE OCTOBRE 2012 COM 108 Anne DEBET et COM 112 Muriel CHAGNY


[1] Depuis la loi du 21 juin 2004 sur la Confiance dans l’Economie Numérique (LCEN) ; également la loi du 3 janvier 2008 dite « loi Chatel » qui a renforcé les droits du cyberconsommateur.
[2] CA Paris 24 sept 2008, Vente Privée.com c/o Kalypso, CCE 2009, com 25 note A. Debet
[3] T Com Paris 15e ch, 22 juin 2012, Alban B c/o Michaël M, CCE 2012 com 108 note A. Debet ; CCE 2012 com 112 note M. Chagny
[4] T Com Paris 4 sept 1989, Conofiga c/ Unibanque : Expertise 1991 n° 141 p 273

mardi 5 mars 2013

Jeux en ligne : les paris sont ouverts

Avec la libéralisation des jeux et paris en ligne, c’est le monopole de la française des jeux qui prend fin ainsi que l’exception française sur les jeux d’argents dans l’espace économique européen. S’ouvre ainsi un marché juteux évalué à deux ou trois milliards d’euros par an dont un bon tiers pour le poker.
a) Une situation française qui n’était pas en phase avec le droit européen
Jusqu’à récemment, les loteries et paris sportifs étaient soumis à un monopole d’Etat confié à la Française des jeux (par dérogation à la loi du 21 mai 1836 interdisant les loteries) et au Pari Mutuel Urbain (pour les paris hippiques en vertu d’une loi de 1891) : seules ces sociétés étaient en mesure de proposer en France des jeux d’argent en ligne. Pour ce qui est des Casinos, ceux-ci étaient astreints à une procédure de dérogation soumise à approbation du Ministère de l’Intérieur puisque la loi du 12 juillet 1983 interdisait les jeux de hasard. En conséquence, les jeux d’argents en ligne offerts en France par toute autre société étaient considérés comme illégaux par les autorités françaises[1]. Une situation délicate compte tenu du caractère transfrontalier d’Internet et de la foultitude d’offres de jeux en ligne disponible à portée de clic dans des Etats européens voisins.
Justement, cette situation n’était pas conforme au droit européen : en effet, l’exigence d’un marché de service libre au sein de l’espace européen (article 49 du Traité instituant la Communauté Européenne) s’applique aux services de jeux d’argent, ce que la Cour de Justice des Communautés Européennes a pu confirmer notamment à travers sa jurisprudence Gambelli (2003). Il existait une contradiction pour les autorités française à s’opposer à l’ouverture des services de jeux d’argents tout en ayant une politique active de développement de ses propres services via la Française des jeux. C’est pourquoi la Commission européenne pressait depuis plusieurs années la France pour qu’elle libéralise son marché des jeux d’argent. Une libéralisation d’autant plus espérée avec l’impact escomptée de la coupe du monde de football sur les paris en ligne
Avec la loi du 12 mai 2010 relative à l’ouverture à la concurrence et à la régulation du secteur des jeux d’argent et de hasard en ligne (http://legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000022204510# ), la France met enfin un terme aux monopoles existants et rentre dans le rang européen. Le gouvernement a même accéléré la procédure en envoyant les décrets d’application à Bruxelles avant le vote final de la loi, afin de pouvoir être prêt pour la coupe du monde. C’est désormais chose faite !
b) Une libéralisation des jeux en ligne strictement encadrée
Seuls sont visés par la nouvelle loi les jeux de cercle en ligne (poker) et les paris hippique et sportifs ; tout autre jeux de hasard ou d’argent, loterie en ligne reste interdit sauf exceptions au profit de la Française des jeux et du PMU.
L’exercice de ces activités est soumis à un agrément délivré par une nouvelle autorité fraichement créé : l’ARJEL (Autorité de Régulation des Jeux en Ligne : http://www.arjel.fr). L’ARJEL délivrera des licences sur la base d’un cahier des charges auquel les opérateurs candidats devront se conformer. Ces licences sont valables cinq ans et sont renouvelables. L’ARJEL percevra un droit fixe auprès des opérateurs lors de chaque demande d’agrément, puis annuellement, enfin à l’occasion de chaque renouvellement. De plus chaque somme misée fera l’objet de prélèvements sociaux et fiscaux et le taux de redistribution des gains s’en trouvera un plus lourdement affecté. Les sites web des opérateurs agréés devront obligatoirement avoir un nom de domaine en <.fr>.
L’ARJEL est en outre chargée de veiller au respect des obligations imposées par la loi.
Parmi ces obligations figurent la lutte contre la fraude, le blanchiment d’argent et les activités de terrorisme et sur laquelle la collaboration des opérateurs est recherchée en termes de transparence financière. La protection des mineurs implique l’exclusion de ceux-ci même lorsqu’ils sont émancipés à tous jeux d’argent ou de hasard et justifie que les opérateurs exigent la date de naissance du joueur lors de son inscription ainsi qu’à chacune de ses connexions.
Pour lutter contre le jeu excessif ou pathologique, la loi impose que les opérateurs de jeux empêchent la participation des personnes interdites de jeu et à cette fin lui permet d’interroger par le biais de l’ARJEL le fichier des personnes faisant l’objet d’une telle interdiction. L’opérateur devra également mettre en place des mécanismes d’auto-exclusion et de modération ainsi que des dispositifs d’autolimitation des dépôts de mise. Son site ne pourra contenir aucune publicité ni lien hypertextes vers une publicité en faveur d’une entreprise permettant d’obtenir des prêts d’argents aux joueurs ou entre joueurs.
Enfin, plusieurs mesures sont destinées à lutter contre les sites illégaux de jeux dont l’accès pourra être coupé par le juge des référés. Ainsi, l’offre de jeu sans être titulaire d’un agrément est sanctionnée par trois ans d’emprisonnement et 90 000 € d’amende, peines portées à sept ans lorsque l’infraction est commise en bande organisée. La publicité de tels sites web ou la promotion des cotes et rapports proposés par ces sites, par quelque moyen que ce soit est réprimée par une amende de 100 000 €.
Dans le but de constater les infractions, des agents de police ou de douanes assermentés pourront participer sous un pseudonyme à des échanges électroniques sur un site de jeux en ligne agréé ou non, et y extraire toute données liées aux personnes en cause.
c) La loi ne donne aucune précision sur l’usage des dénominations des acteurs sportifs par les opérateurs de jeux en ligne
Si la nouvelle loi consacre le droit d’exploitation commerciale sous forme de paris des manifestations sportives, elle reste en revanche muette sur l’usage par les opérateurs de jeux, des dénominations des acteurs sportifs : nom des joueurs, noms des clubs, nom de l’organisateur de la manifestation… Or ces dénominations sont protégées aussi bien par un droit de la personnalité (droit au nom, droit à l’image) que par un droit de propriété intellectuelle (le nom du joueur ou le nom du club sont enregistrés comme marque de commerce) : l’usage non autorisé de ces éléments peut constituer une atteinte aux droits respectifs en cause.
Dans ces conditions, comment un opérateur de pari en ligne peut-il librement utiliser ces dénominations à l’occasion d’une manifestation sportive ? En clair, un site de pari en ligne peut-il reproduire le nom et l’image du footballeur Zinedine Zidane à l’occasion d’un match de football ou ce joueur participe sans avoir à lui demander son autorisation ?  La même question se pour les logos des clubs comme le PSG, l’OM et autres…qui sont protégés à titre de marque de commerce ou même pour les noms des joueurs lorsque ceux-ci sont également déposés à titre de marque
L’hypothèse n’est pas anecdotique et a pu donner lieu à une jurisprudence effervescente : ainsi, le juge des référés parisien a eu à connaître de cette question sous l’angle des droits de la personnalité et a répondu par la négative : TGI Paris, réf, 8 juillet 2005, Real Madrid CF, Zinedine Z, David B, Raul G et autres c/o Hilton Group Plc, Sporting Exchange Ltd, William H. Sportingbet Plc et autres. A l’inverse et sous l’angle du droit des marques, la Cour d’Appel de Paris a pu considérer qu’un tel usage était constitutif de contrefaçon (CA Paris 14 octobre 2009, FFT c/o Unibet).
Face à ces situations, la jurisprudence oscillait ainsi entre un usage strictement nécessaire à la désignation de l’objet des paris et un usage promotionnel à des fins publicitaires : dans le premier cas, la responsabilité n’était pas engagée alors que dans le second oui. Or la ligne démarquatrice entre ces deux usages est parfois difficile à tracer, puisqu’au contraire ceux-ci ont plutôt tendance à se confondre.
Cette incertitude issue de positions jurisprudentielles différentes aussi bien dans leur fondement juridique que dans leur solution est source d’insécurité pour les opérateurs de paris en ligne dont la responsabilité reste potentiellement engageable alors que l’usage de telle dénomination est systématiquement nécessaire. 
Si les dernières décisions en la matière se montrent plutôt favorables aux opérateurs de jeux en ligne en considérant qu’un tel usage fut il dans la vie des affaires n’est pas un usage à titre de marque et que dès lors le grief de contrefaçon ne peut être retenu ( CA Paris 11 décembre 2009 Juventus de Turin et CA Paris 2 avril 2010 PSG), on peut regretter que la loi présentement commentée n’ait pas saisi l’opportunité d’apporter justement une clarification utile à la sécurisation des paris en ligne au regard de ces usages.


[1] Thibault Verbiest et Evelyne Heffermehl, Jeux d’argent en ligne en France : vers quel cadre réglementaire ? , www.droit-technologie.org, 2006

PROTEGER SA MARQUE SUR INTERNET



L’horizon illimité de l’Internet multiplie les possibilités de communication des entreprises autour de leurs marques de commerce.  Signe de ralliement d’une clientèle, la marque se décline désormais sous les diverses facettes du réseau qui facilitent la bonne visibilité de l’information : nom de domaine, liens hypertexte, meta tags… Ces éléments deviennent de nouveaux vecteurs de dissémination de la marque sur le net en vue de capter des consommateurs internautes. L’Internet contribue ainsi à gonfler le pouvoir attractif de la marque.

Une véritable stratégie Internet doit donc être pensée pour permettre à la marque de prospérer sur la toile ; toutefois cette stratégie ne doit pas se faire au détriment de la marque d’autrui : plusieurs pratiques permettent aujourd’hui de profiter indument du pouvoir attractif d’une marque et détourner la clientèle qui y est attaché.  Ainsi en est-il du Cybersquatting et du Typosquatting (1), du méta-tag squatting (2) ou encore de certains liens sponsorisés issus de l’achat de mots-clés (3).

Ces pratiques sont sanctionnées par la jurisprudence foisonnante en la matière et les entreprises doivent dès lors se montrer vigilantes.

1 - Le nom de domaine : halte au Cybersquatting et au Typosquatting

Techniquement, un nom de domaine consiste en une suite de nombre correspondant à l’adresse IP d’un site Internet, permettant de le retrouver dans l’immensité de la toile et d’y accéder. Cette suite de nombre est convertie en termes alphanumériques, « le nom de domaine », plus lisible et plus facile à mémoriser. Chaque nom de domaine est composé d’un radical (par exemple la marque) et d’un suffixe correspondant soit à une zone territoriale (.re pour La Réunion ; .fr pour la France ; .it pour l’Italie) soit à une activité (.com pour le commerce ; .org pour les associations à but non lucratif). L’attribution d’un nom de domaine dépend d’une association américaine, l’ICANN, ainsi que de tout organisme affinitaire (AFNIC pour la France). Traditionnellement, la règle est celle du « premier arrivé, premier servi ». Toute personne peut donc potentiellement enregistrer un nom de domaine quel qu’il soit.

Le nom de domaine représente une réelle valeur commerciale pour l’entreprise car il s’agit de « l’enseigne » sous laquelle son site Internet sera accessible sur la toile. Stratégiquement, les entreprises choisissent d’enregistrer leurs marques comme nom de domaine. Vitrine de l’entreprise, le site Internet pourra proposer des offres de commerce électronique pour une zone géographique déterminée. D’où l’intérêt d’enregistrer un .com pour une offre commerciale mondiale, un .fr pour une offre réservée à un public français, ou un .re pour le public réunionnais. L’exploitation paisible de la marque par un nom de domaine peut néanmoins être troublée par des pratiques illicites comme le Cybersquatting et le Typosquatting.

Le Cybersquatting consiste à enregistrer un nom de domaine correspondant à une marque appartenant à un tiers et à proposer à ce tiers de racheter ledit nom de domaine à un prix abusif. Par exemple, j’enregistre le nom de domaine Cora.com et j’offre à la société réunionnaise Cora de récupérer ce nom de domaine contre 10 000 €.

De même le Typosquatting consiste à enregistrer un nom de domaine très proche d’un autre nom de domaine en se basant sur les fautes d’orthographes potentielles que feraient les internautes en tabulant sur leurs claviers. Par exemple, enregistrer jptmail.com, le j et le o étant les lettres situés juste après le h et le o sur un clavier, pour « hotmail.com ». L’objectif de la manœuvre est de capter une partie du trafic attachée au site officiel afin d’opérer un détournement de clientèle.

Le droit des marques sanctionne vigoureusement ces deux pratiques :

  • D’une part, si la marque est déposée, l’enregistrement d’un nom de domaine identique ou similaire à la marque déposée constituera un acte de contrefaçon sanctionné par les tribunaux (TGI Paris, Réf, 25 mars 1997 affaire Framatome.com). Cette action est ouverte quelle que soit la classe de dépôt de la marque : il n’est pas besoin de réserver une classe 38 (correspondant aux produits et services de communications électronique dont l’Internet fait partie) pour pouvoir réclamer la protection, la contrefaçon s’appréciant au regard des seuls produits ou services indiqués dans l’enregistrement de la marque (Cass. 13 décembre 2005 affaire Localtour).


  • D’autre part et en l’absence de dépôt, une marque notoire pourra éventuellement obtenir gain de cause sur le terrain de la concurrence déloyale ou du parasitisme à condition d’apporter la preuve d’une part de la notoriété de la marque invoquée et d’autre part   une faute contraire aux usages du commerce causant un dommage. Dans ce cas, la faute pourra consister dans l’enregistrement d’un nom de domaine identique capable de créer la confusion dans l’esprit du public mais également dans le contenu du site Web lié au nom de domaine litigieux, si celui-ci offre notamment des produits ou services concurrents à ceux du site Web officiel.

Dans tous les cas, l’antériorité de la marque originelle par rapport à la marque illicite sera un critère déterminant pour apprécier l’illégalité de la pratique ; mais également l’exploitation ou la non exploitation du nom de domaine par l’un ou l’autre des sites Web sera prise en considération. Dans certains cas, un nom de domaine peut même constituer une antériorité capable d’empêcher le dépôt d’une marque postérieure.

Enfin, s’agissant du cas spécifique du Cybersquatting, des procédures de règlement amiable des litiges par le biais de l’arbitrage ont été mises en place pour ordonner le transfert d’un nom de domaine litigieux :

  • L’UDRP (Uniform Dispute Résolution Policy), procédure qui se déroule devant le centre d’arbitrage et de médiation de l’OMPI (Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle)
  • Le PARL du .fr et du .re (Procédures Alternatives de Règlement des Litiges), proposée par l’AFNIC, et menées selon la procédure choisie soit par le CMAP (Centre de Médiation et d’Arbitrage de Paris), l’OMPI, ou le Médiateur du Forum des droits de l’Internet

Ces procédures d’arbitrage sont basées sur des principes directeurs dont la preuve doit être rapportée par le demandeur :

  • la similitude ou le fort rapprochement du nom de domaine litigieux avec la marque du demandeur
  • l’absence de droit ou d’intérêt légitime au profit du défendeur sur le nom de domaine en cause
  • la mauvaise foi du défendeur

En cas de conflit, ces procédures d’arbitrage offrent l’avantage d’une solution rapide et efficace, pour un coût relativement peu élevé.



2 – Le meta-tag squatting : l’atteinte à la marque par le code source des pages Internet

Dans la jungle de l’Internet, la visibilité d’un site Web est cruciale : elle conditionne son accessibilité par les internautes, sa popularité voire même sa rentabilité pour les sites de commerce électronique. Dans cette jungle, les moteurs de recherche jouent un rôle stratégique : c’est par leur biais que les internautes bien souvent trouveront les sites correspondant à l’objet de leur recherche. Il est donc primordial pour tout site Internet d’être correctement référencé par ces moteurs afin dans l’idéal d’apparaître en tête des résultats lorsqu’un internaute lance une recherche.

Ce référencement s’opère par des balises ou « méta tags » figurant dans le code source des pages web que les moteurs de recherches indexent afin de pouvoir offrir des résultats lorsqu’une recherche est lancée. Ainsi, les logiciels automatiques des moteurs, communément appelés « robots » brassent les millions de pages web de l’Internet et les scannent à la recherche de ces fameuses balises, contenant des mots clés correspondant au contenu de chaque page. Selon les mots clefs insérés dans ces balises, la page web apparaitra dans les résultats affichés par toute requête utilisant ces mêmes mots clefs.

La tentation est alors forte, pour apparaître en tête des résultats des moteurs, d’insérer dans les balises méta des pages web des noms de marques connues à titre de mot clefs. Ainsi, en insérant « coca cola » comme méta tag de ses pages web, tout site vendant des produits directement concurrents (comme des sodas ou des jus de fruits) ou même non directement concurrent (des chaussures par exemple), apparaîtra dans la page de résultats affiché par le moteur lorsqu’un internaute lancera la recherche « coca cola ».

Grâce à cette technique, un concurrent profite indûment du pouvoir d’attractivité de la marque, d’autrui dont il détourne la clientèle, afin de pouvoir positionner ses propres produits et services.

Ce squattage d’une marque dans le code source des pages web ou « meta-tag squatting » est une technique dite de spamdexing : il s’agit d’un ensemble de techniques abusives de référencement  qui trompent l’indexation automatique faite par les moteurs de recherche afin de mieux positionner un site dans la page de résultat du moteur.

L’atteinte à la marque, qu’elle soit déposée ou notoire est évidente :

  • L’utilisation non autorisée de la marque d’autrui dans les méta-tags constitue un acte de contrefaçon sanctionnée par les tribunaux (TGI Nanterre 25 juinn 2002 Louis Vuitton c/ François D, SA Free ; CA Paris 3 mars 2000, SA Citycom c/ SA Chanel). Cette sanction est d’autant plus justifiée si l’insertion des méta-tags permet à un concurrent de coca cola par exemple  d’apparaître à coté du site officiel de coca cola : cette juxtaposition est nécessairement préjudiciable à la marque Coca cola qui subit là un détournement de sa clientèle, les internautes étant susceptibles de visiter les sites de concurrents.

  • La marque subit également un préjudice du fait d’un risque de confusion possible dans l’esprit du public, voire de parasitisme des sites concurrents : d’une part l’insertion d’une marque protégée dans un méta-tag peut constituer un comportement fautif contraire aux règles loyales du commerce, caractéristique de la concurrence déloyale ; d’autre part, en se plaçant délibérément dans le sillage de la marque déposée, les concurrents profitent indûment de ses efforts économiques ce qui peut être sanctionné sur le terrain du parasitisme (CA Paris 12 janvier 2005 Sté Kaligona c/ Sté Dreamex).  L’action en concurrence déloyale et l’action en parasitisme profiteront non seulement aux marques jouissant d’une renommée dépassant les seuls produits et services qu’elles désignent (comme coca cola par exemple) mais également aux signes distinctifs exclus des mécanismes de propriété intellectuelle à savoir le nom commercial, l’enseigne, la dénomination sociale, voire un même un autre nom de domaine régulièrement enregistré.

Dès lors, pour être licite, l’insertion de la marque d’autrui dans le méta-tag d’une page Internet nécessite l’autorisation expresse du titulaire de cette marque. Une telle autorisation pourra être négociée dans le cadre de contrats de référencement ou de contrats de partenariat intégrant des stratégies publicitaires et de communication. C’est ainsi que la société Pepsi Cola a intégré dans le code source de son site Web les noms des acteurs, sportifs, ou marques avec lesquels elle a conclu un contrat de publicité ou de sponsoring.


3 - Le position squatting : l’achat litigieux de marques à titre de mots clefs

La quête d’un positionnement incontournable sur la toile de l’Internet a poussé les moteurs de recherche à proposer aux entreprises des solutions innovantes tant en matière de référencement que de publicité.  Ainsi la pratique des liens sponsorisés consiste à vendre des mots-clés permettant de positionner le site web d’une entreprise parmi les premiers résultats d’une requête portant sur ces mêmes mots-clés ; ces résultats apparaissent en marge des résultats traditionnels dans une colonne intitulée « liens commerciaux ». Par exemple, l’entreprise Coca Cola  pourrait acheter les termes « soda » ou « boisson gazeuse » pour apparaître en tête des résultats pour toute requête de ces mêmes mots lancée par un Internaute sur le moteur de recherche Google.

En plein essor, les liens sponsorisés ont représenté un chiffre d’affaire de 2.16 milliards d’Euros en 2006 sur les 4,96 milliards d’euros du marché européen de la publicité interactive (source : Journal du Net citant une étude de Jupiter Research). C’est dire l’enjeu économique du positionnement publicitaire !

Comme pour le nom de domaine et les méta-tags, des manœuvres abusives sont venues polluer le marché des liens promotionnels, par l’utilisation frauduleuse de marques à titre de mots-clés. Ainsi, le « position squatting » consiste à acheter la marque d’un concurrent comme mot-clé afin de profiter du trafic Internet qu’il génère et bénéficier d’un meilleur affichage de son site Internet par les outils de recherche. Par exemple, une marque de soda inconnue du public qui achèterait le mot-clé « coca-cola » profiterait d’un positionnement avantageux au détriment de la marque déposée Coca Cola. Même si c’est l’annonceur qui choisit en connaissance de cause les mots-clés qui le référenceront, il arrive souvent que les outils de recherche inspirent ce choix en  proposant automatiquement plusieurs mots-clés parmi lesquels peuvent figurer des marques protégées (ex : le programme Adwords de Google). Pire : certaines associations de mots-clés peuvent porter préjudice à la marque (vuitton, fake, replica…) et conduire à des sites Internet illicites vendant des produits contrefaisants !

Plusieurs solutions s’offrent alors à la marque victime de position squating :

  • Engager la responsabilité de l’annonceur : en effet, l’article L 713-2 du Code de Propriété Intellectuelle (CPI) interdit la reproduction, l’usage ou l’apposition d’une marque reproduite sans l’autorisation préalable du titulaire de celle-ci, ainsi que « l’usage d’une marque reproduite pour des produits ou services identiques à ceux désignés dans l’enregistrement ». C’est sur cette base que le TGI de Paris a pu condamner des annonceurs pour contrefaçon de marques déposées (TGI Paris 13 février 2007 affaire Meetic). A défaut de dépôt, la marque pourra obtenir protection sur le terrain de la concurrence déloyale ou du parasitisme ; il conviendra de démontrer la faute de l’annonceur notamment par l’achat de mot clefs sans aucun rapport avec son activité commerciale avec pour effet un détournement de clientèle, « profitant du travail d’autrui sans bourse délier ».

  • Engager la responsabilité du moteur de recherche : sur la base du même article L 713-2 du CPI, plusieurs décisions de justices ont sanctionné l’outil de recherche pour contrefaçon en raison de leur rôle actif dans le choix des mots clefs suggéré aux annonceurs (CA Paris 1er février 2008 affaire Gifam, TGI Paris 4 février 2005 affaire Vuitton ; TGI Nanterre 17 janvier 2005 affaire Accor ; TGI Paris). A défaut de marque déposée, la concurrence déloyale ou le parasitisme restent invocables. Enfin, et c’est là une originalité : dans certaines affaires, le moteur de recherche a pu être condamné pour publicité trompeuse (affaire Vuitton précitée) en raison de la confusion dans l’esprit des internautes suscitée par l’affichage « liens commerciaux » pouvant laisser croire que les sites Internet affichés entretiennent des rapports commerciaux avec les sociétés victimes de position squatting (affaire Gifam précitée)

Les détenteurs de marques ont donc intérêt à être vigilants face aux pratiques de référencement publicitaires susceptibles d’utiliser leurs marques à leur insu ; à l’inverse, les moteurs de recherche et les annonceurs, devront faire preuve d’une extrême prudence dans le choix des mots-clés pour éviter les foudres du droit des marques.

WIKI LEAKS : tout secret est-il bon à dévoiler ?

En divulguant 250 000 télégrammes diplomatiques américains classés confidentiels, le site WIKI LEAKS jette une véritable bombe dans l’univers de la diplomatie internationale. Jamais de telles divulgations n’auront eu une telle ampleur dans l’histoire des médias… et dans l’Histoire tout court !


Et pourtant WIKI LEAKS n’est pas le premier site à s’être spécialisé dans la communication de documents confidentiels : depuis plus de 10 ans, les sites CRYPTOME, SECRECY NEWS et STATEWATCH publiaient déjà des informations gouvernementales secrètes.
 
La différence avec WIKI LEAKS ? C’est l’hypermédiatisation volontairement orchestrée autour des publications du site. Une hypermédiatisation possible grâce au potentiel illimité de l’Internet décidément sans aucune frontières et qui permet d’informer, de publier et rendre instantanément accessible partout dans le monde ces fameux câbles diplomatiques si secrets. Internet est un acteur majeur du succès controversé de WIKI LEAKS !
 
Bien que l’origine et la validité de ces documents n’ont jamais été officiellement démentie par les autorités américaines, jusqu’au dernier moment, elles auront tout tenté pour empêcher leurs publications.
 
Or si ces publications ne constituent pas toutes des « révélations » forcément « fracassantes », elles offrent tout de même un regard inédit sur les coulisses de la diplomatie américaine en permettant de connaître, à coté de la langue de bois habituelle, la réalité de la perception américaine du monde. C’est en ce sens que ces fuites sont véritablement embarrassantes pour les Etats-Unis…mais aussi pour les personnalités visées par ces documents.
 
Une telle divulgation de masse de documents gouvernementaux confidentiels est elle souhaitable ? Est-elle légitime ?
 
Dans ce qui s’appelle désormais le CABLEGATE, la préservation du secret s’oppose au droit qu’aurait le citoyen à exiger la transparence sur les affaires publiques.
 
Secret contre droit à la transparence sur les affaires publiques
 
Au caractère confidentiel de ces documents, on invoque désormais un « droit à la transparence sur les affaires publiques » capable de justifier l’ampleur sans précédent de ces divulgations.
 
Or cette divulgation relève t-elle vraiment de l’intérêt général ? Comme le souligne à très juste titre le célèbre historien Thimothy Garton Arsh : « Il y a un intérêt public à savoir comment fonctionne le monde et ce que l’on y fait en notre nom. Il y a aussi un intérêt public à ce que la politique étrangère soit menée de façon confidentielle. Et ces deux intérêts sont contradictoires »[1].
 
En effet, dans la diplomatie internationale, « le secret est l’arme de la négociation »[2] : c’est à l’abri des projecteurs et du regard des citoyens que se négocie l’avenir des peuples. Car chaque partie officiellement en conflit pourra plus certainement infléchir sa position et faire des concessions qui, si elles étaient sues du public au moment même ou elles se déroulent, pourraient être interprétés comme des aveux de faiblesses. Ainsi, le secret offre un confort de négociation vers une solution d’équilibre à l’heure ou tout semble s’y opposer.
Et c’est justement ce culte de la diplomatie du secret qui est remis en question par toutes les revendications de transparence symbolisées aujourd’hui par WIKI LEAKS ! A l’image d’un Greenpeace des temps cybernétiques, WIKI LEAKS représenterait un nouveau mouvement de militantisme virtuel contre les grandes puissances du monde ou la lutte emprunterait la forme des jeux vidéo et des réseaux sociaux afin de donner une ampleur sans précédent à la cause. « La transgression, dans ce cas, change de nature. De moyen, elle devient une fin et constitue le cœur même de l’action »[3].
 
Ainsi, l’intérêt supérieur de la « cause » légitimerait toutes les atteintes, y compris celle de la violation du secret par des personnes qui en sont dépositaires quelles que puissent être les sanctions. Et c’est précisément à des sanctions lourdes auxquelles s’expose le jeune informaticien militaire de 22 ans qui a délibérément copié les données secrètes sur une simple clef USB en sifflotant sur une chanson de Lady Gaga pour ensuite les transmettre à WIKI LEAKS… Il risque aujourd’hui la cour martiale avec une peine pouvant aller jusqu’à 52 ans de prison ! 
 
Cette revendication de transparence bouleverse aujourd’hui tous les mécanismes de la diplomatie internationale et la lecture qu’on peut en faire : traditionnellement il faut patienter plusieurs dizaines d’années avant que des documents confidentiels soit déclassés et rendu publics puis décryptés, analysés par les historiens. Avec WIKI LEAKS, c’est au moment même ou les faits se déroulent, ou l’Histoire s’écrit que l’on découvre ébahis toute les tractations diplomatiques secrètes en cours : les journalistes, historiens et autres analystes n’ont pas à attendre demain pour pouvoir enfin comprendre les attitudes de la diplomatie américaine d’aujourd’hui, laquelle en ressort fortement ébranlée.
 
Et c’est ainsi que plusieurs journaux du monde ont entrepris d’étudier et restituer la substantifique moelle de ces 250 000 câbles, au titre du droit à l’information du public, principe fondamental déjà consacré à plusieurs reprises dans le droit des médias. C’est là que réside le fondement même de toute légitimité à la communication par les médias de ces documents, après analyse et vérification puisque le journaliste est astreint à une telle obligation avant publication.
 
Faire coexister les revendications de transparence avec l’exigence du secret
 
Faut-il pour autant considérer que ce droit à l’information du public soit une légitimité suffisante pour justifier les atteintes au secret dont WIKI LEAKS s’est fait le champion ? Non car je persiste à croire que le secret reste vitalement utile dans le grand concert des diplomaties, ne serait ce que parce qu’il contribue à trouver des solutions qui ne pourraient être obtenues si elles étaient exhibées sur la scène publique. Et même s’il existe également un principe général de transparence sur l’action administrative, matérialisé en France par la loi sur la Communication et l’Accès aux Documents Administratifs (dite loi CADA de 1978), l’article 6 de cette loi exclut expressément de la communicabilité tous documents couverts par le secret de manière générale.
 
Là où la saga WIKI LEAKS invite à réfléchir, c’est sur la question de l’écoulement du temps avant la levée du secret sur les archives : il peut être utile de raccourcir la durée de conservation de la confidentialité attachés à certains documents ce qui répondrait aux revendications de transparence sans pour autant menacer la pérennité des relations internationales en cours souvent imprégnées de confidentialité. En d’autre termes il s’agirait de faire coexister la transparence avec les impératifs du secret, voire même faire de la transparence un rempart contre les abus du secret : c’est en sachant que certains documents seront rapidement rendus publics qu’on peut aussi espérer une attitude loyale de nos dirigeants.
 
S’il est vrai qu’un tel déballage présente de réels dangers pour l’équilibre mondial, l’affaire WIKI LEAKS témoigne aussi d’un changement de poids sur l’échiquier international avec la prise en compte d’un nouveau paramètre, celui des nouvelles technologies de la communication et de l’information : en seulement deux clics, toute information diplomatique confidentielle peut devenir publique et faire le buzz sur la toile. Bien que chaque gouvernement va inévitablement resserrer ses rangs pour éviter que de nouvelles fuites ne surviennent, une brèche a tout de même été réalisée dans l’édifice : quand bien même le site web de WIKI LEAKS serait-il fermé, il y a fort à parier que de nombreux émules suivront la voie tracée par son fondateur Julian Assange dans la révélation en ligne de documents confidentiels, à l’image de ce qu’a été NAPSTER pour le partage de fichiers en ligne.
 
Certainement les législations du monde entier se durciront et créeront peut-être une infraction nouvelle portant spécifiquement sur la révélation de documents gouvernementaux confidentiels, menaçant ou pas la sureté de l’Etat, embarquant dans son giron non seulement l’auteur des révélations mais également toute personne, tous sites web qui relaieront ces révélations…
 
Il n’empêche que WIKI LEAKS aura montré que tout secret peut être révélé et diffusé en masse au jour le jour avec une facilité déconcertante quelles qu’en soient les conséquences ! De quoi inciter nos dirigeants à se montrer plus prudents voire peut être plus juste lorsqu’ils négocieront en notre nom, en prenant en compte le risque réel de voir leurs tractations dévoilées au grand jour à tout moment. 
 
Ainsi l’épée de Damoclès de la transparence, sans pour autant remettre en cause le rôle nécessaire du secret dans la diplomatie internationale, pourra t-elle peut-être jouer un rôle bénéfique au service de la paix des peuples….
 
Comme l’écrivit un illustre Père Fondateur des Etats-Unis Benjamin Franklin : « J’ai longtemps observé une règle (...). C’est simplement celle-ci, de ne m’occuper d’aucune affaire dont je puisse rougir en la rendant publique. »


[1] Thimothy Garton Arsh, Les documents secrets révélés par WIKILEAKS relèvent de l’intérêt général, Le Monde du 02.12.10
[2] Aurélien Colson, Fin du secret diplomatique, Le Monde du 14.12.10 http://www.lemonde.fr/idees/article...
[3] « Un vol réel par effraction, la destruction effective d’un bien appartenant à autrui sont des actes lourds et qui supposent une part difficile à assumer de violence physique. Au contraire, les aventuriers du Net se présentent volontiers comme des "doux". Leur violence se déploie dans un espace proche de celui des jeux vidéo, espace où rien n’est vraiment grave, où le joueur dispose de plusieurs vies, où le désir de gagner écarte toute préoccupation morale » Jean Christophe RUFIN, WIKI LEAKS ou la troisième révolte, Le Monde du 21.12.10
 

Noms de domaine : le grand chambardement !

Suite à la QPC du 6 octobre 2010, l’équilibre juridique du droit français des noms de domaines avait été ébranlé par le Conseil Constitutionnel : en déclarant inconstitutionnel leur régime d’attribution et de gestion, c’est à une refonte totale du système législatif et réglementaire d’attribution des noms de domaine qu’imposait la Haute Cour. La loi n° 2011-302 du 22 mars 2011 dernier remplit cet objectif en mettant un place un nouveau cadre juridique applicable aux noms de domaines. Toutes les extensions françaises sont concernées y compris le <.re> qui reste régit par l’AFNIC jusqu’au 30 juin 2011.



1. L’inconstitutionnalité de l’article L 45 CPCE
Décidément le nouvel instrument juridique qu’est la Question Prioritaire de Constitutionalité offre désormais des moyens inédits permettant de remettre en cause des situations juridiques que l’on pensait acquise. Il en est ainsi de la question des noms de domaines régit par l’article L 45 du Code des Postes et Communications Electroniques (CPCE). Cet article issu de la loi su 9 juillet 2004 sur les communications électroniques, permettait au Ministre en charge des Communications Electronique de désigner les organismes chargé d’attribuer et de gérer les noms de domaines français (exemple : l’AFNIC) et renvoyait au décret du 6 février 2007 le soin de déterminer les conditions précises d’attribution et de gestion de ces noms de domaines. C’est sur la base de ces textes que l’Arrêté du 19 février 2010 désignait l’AFNIC comme organisme en charge de cette mission.
Or c’est justement cet arrêté pris par le Ministre en charge des Communications Electroniques qui a fait l’objet d’un recours en annulation introduit par M. Mathieu P. En contestant cet arrêté dans le cadre d’une QPC, le requérant contestait également la conformité de l’article L 45 du CPCE aux dispositions garanties par la Constitution.
Dans sa décision du 6 octobre 20101, la Haute Juridiction considère que le législateur a commis une « incompétence négative » (càd qu’il méconnait sa propre compétence) en déléguant entièrement le pouvoir d’encadrer les conditions dans lesquelles les noms de domaines sont attribués ou peuvent être renouvelés, attribués, refusés ou retirés. En clair, c’est à la loi qu’il importait de déterminer ces éléments, non au pouvoir réglementaire (décret, arrêté). Le Conseil Constitutionnel abroge donc l’article L 45 qu’il juge inconstitutionnel et par voie de conséquence tous les textes réglementaires pris sur son fondement.
 
Conséquence : c’est tout l’équilibre juridique sur lequel repose l’AFNIC ainsi que les
procédures d’attribution et de gestion des noms de domaines français qui sont mises en péril.
Toutefois, afin de préserver la sécurité juridique au vu du nombre de noms de domaines déjà enregistrée, la Haute Cour retarde les effets de l’abrogation au 1er juillet 2011. Elle précise expressément que « les autres actes passés avant cette date en application des mêmes dispositions ne peuvent être contestés sur le fondement de cette inconstitutionnalité ».
Autrement dit, les dispositions actuelles perdureront jusqu’au 1er juillet 2011 : l’AFNIC
conservera ses prérogatives et les noms de domaines enregistrés auprès d’elle, que ce soit en <.fr> ou en <.re> resteront acquis.
Cette décision consacre pour la première fois l’importance des noms de domaines à la
lumière de la Constitution2, trois droits et libertés constitutionnellement protégés étant
invoqués pour sanctionner l’incompétence négative du législateur en la matière : la liberté d’entreprendre, la liberté de communication et enfin le droit de propriété3. En abrogeant l’article L 45 du CPCE, le juge constitutionnel invitait le législateur à se saisir plus sérieusement de cette question en adoptant un texte qui prenne en compte les griefs formulés avant la date butoir du 1er juillet 2011. C’est aujourd’hui chose faite avec la loi n° 2011-3 02 du 22 mars 2011.


2. Le nouveau cadre juridique applicable aux noms de domaine français
Entrée en vigueur le 1er juillet 2011, la loi n° 2011-302 du 22 mars 2011 i nstaure un cadre juridique nouveau pour les noms de domaines français, qui figure aux articles L 45 et suivants du Code des Postes et Communications Electroniques (CPCE)4. Sont concernés les noms de domaines de premier niveau correspondants aux codes pays du territoire national ou d’une partie de celui-ci : <.fr> France, <.gf> Guyane Française, <.gp> Guadeloupe, <.mq>Martinique, <.yt> Mayotte, <.re> La Réunion, <.pm> Saint Pierre et Miquelon, <.bl> Saint Barthelemy, <.mf> Saint Martin, <.tf> Terres australes et antarctiques françaises, et <.wf> Wallis et Futuna.

Désormais ces noms de domaines pourront être enregistrés par toute personnes physique ou morale domiciliée sur le territoire de l’Union Européenne : c’est une nouveauté par rapport à l’ancienne réglementation laquelle restreignait l’enregistrement aux seules personnes domiciliées en France, ou encore s’agissant des noms de domaines territoriaux comme le <.re>, aux personnes justifiant d’un domicile sur le dit territoire. Toutefois cette disposition n’entrera en vigueur qu’à partir du 31 décembre 2011. L’ouverture des noms de domaines français à toute personne domiciliée sur le territoire européen devrait entrainer une augmentation significative des demandes d’enregistrements, en particulier s’agissant des extensions d’outre mer : jusqu’à présent ces extensions connaissaient un faible succès, en particulier en raison des conditions très restrictives d’enregistrement. Il existait de plus de réelles difficultés pour faciliter l’évolution des chartes applicables à l’image de celle du <.re> qui n’a regrettablement pas suivi toutes les évolutions du <.fr>. La nouvelle loi remédie aujourd’hui à ces imperfections.
Si le principe du « premier arrivé, premier servi » est confirmé, il est également précisé que l’enregistrement se fait sous la responsabilité du demandeur. Ainsi, un enregistrement peut être refusé ou supprimé « lorsque le nom de domaine est :
1° Susceptible de porter atteinte à l’ordre public o u aux bonnes moeurs ou à des droits garantis par la Constitution ou par la loi ;
2° Susceptible de porter atteinte à des droits de p ropriété intellectuelle ou de la personnalité, sauf si le demandeur justifie d’un intérêt légitime et agit de bonne foi ;
3° Identique ou apparenté à celui de la République française, d’une collectivité territoriale ou d’un groupement de collectivités territoriales ou d’une institution ou service public national ou local, sauf si le demandeur justifie d’un intérêt légitime et agit de bonne foi ».

On peut s’interroger sur la difficile conciliation des notions d’intérêt légitime et de bonne foi avec le droit des marques en cas de conflit entre une marque déposée et un nom de domaine : en effet, le délit de contrefaçon de marque ne connaît pas d’exception de bonne foi. Comment dès lors articuler ces exceptions nouvelles propres aux noms de domaines avec la cohérence du droit des marques lorsque la protection de ce dernier est invoquée face à un nom de domaine contrefaisant ? Il y a manifestement un écueil de la loi5.

Nonobstant cette insuffisance, les notions d’intérêt légitime et de mauvaise foi sont explicitées dans le décret n° 2011-926 du 1er août 2011 :
« Peut notamment caractériser l’existence d’un intérêt légitime… le fait, pour le demandeur ou le titulaire d’un nom de domaine :

– d’utiliser ce nom de domaine, ou un nom identique ou apparenté, dans le cadre d’une offre de biens ou de services, ou de pouvoir démontrer qu’il s’y est préparé ;

–d’être connu sous un nom identique ou apparenté à ce nom de domaine, même en l’absence de droits reconnus sur ce nom ;

– de faire un usage non commercial du nom de domaine ou d’un nom apparenté sans intention de tromper le consommateur ou de nuire à la réputation d’un nom sur lequel est reconnu ou établi un droit.

 
« Peut notamment caractériser la mauvaise foi… le fait, pour le demandeur ou le titulaire d’un nom de domaine :

– d’avoir obtenu ou demandé l’enregistrement de ce nom principalement en vue de le vendre, de le louer ou de le transférer de quelque manière que ce soit à un organisme public, à une collectivité locale ou au titulaire d’un nom identique ou apparenté sur lequel un droit est reconnu et non pour l’exploiter effectivement ;

– d’avoir obtenu ou demandé l’enregistrement d’un nom de domaine principalement dans le but de nuire à la réputation du titulaire d’un intérêt légitime ou d’un droit reconnu sur ce nom ou sur un nom apparenté, ou à celle d’un produit ou service assimilé à ce nom dans l’esprit du consommateur ;

– d’avoir obtenu ou demandé l’enregistrement d’un nom de domaine principalement dans le but de profiter de la renommée du titulaire d’un intérêt légitime ou d’un droit reconnu sur ce nom ou sur un nom apparenté, ou de celle d’un produit ou service assimilé à ce nom, en créant une confusion dans l’esprit du consommateur ».

 
L’attribution des noms de domaine est assurée par des offices d’enregistrement, par l’intermédiaire de bureaux d’enregistrement qui devront être accrédités selon des règles transparentes et non discriminatoires. C’est une autre nouveauté puisque sous l’ancienne réglementation les bureaux d’enregistrement n’étaient liés à l’AFNIC que par un simple contrat. Désormais la profession de bureau d’enregistrement devient règlementée et est exercée sous le contrôle de l’office d’enregistrement qui peut supprimer l’accréditation en
cas de non respect des règles d’attribution des noms de domaines.
 
S’agissant des WHOIS, une disposition intéressante permet de lutter contre la fourniture par les déposants d’informations inexactes : après des avertissements restés infructueux, le nom de domaine pourra tout simplement être supprimé, ce qui devrait avoir un réel effet dissuasif. Enfin, les procédures de résolution des litiges sont également refondues : le nouvel article L 45-6 du CPCE prévoit que toute personne démontrant un intérêt à agir peut demander à l’office d’enregistrement compétent la suppression ou le transfert à son profit d’un nom de domaine lorsque celui-ci n’est pas conforme aux conditions d’enregistrement. L’office statue dans un délai de deux mois selon une procédure contradictoire fixée par son règlement intérieur qui peut prévoir l’intervention d’un tiers choisi dans des conditions transparentes, non discriminatoires et rendues publiques. Il est précisé que les décisions prises par l’office sont susceptibles de recours devant le juge judiciaire.
 
Cette nouvelle procédure devrait remplacer les procédures PREDEC ainsi que les deux PARL qui permettaient une résolution extrajudiciaire des litiges, en parallèle des procédures judiciaires ou la jurisprudence est désormais bien avancée. Reste que l’articulation d’une procédure alternative de résolution des conflits avec un recours judiciaire est une innovation dont il faudra mesurer la portée. En particulier, permettra t elle d’octroyer des dommages et intérêt en cas de mauvaise foi du déposant, ce qui permettrait d’avoir un effet dissuasif sur le cybersquating ? Dans la négative, les procédures judiciaires devront continuer à être privilégiées lorsque la sanction financière du contrevenant est recherchée.
 
Bien qu’entrée en vigueur depuis le 1er juillet 2011, certaines dispositions voient leur application retardée jusqu’au 31 décembre 2011 : c’est le cas s’agissant de l’ouverture des noms de domaines aux personnes physiques et morales établies dans l’Union Européenne. De même les offices d’enregistrement actuellement en place voient leur mandat perdurer jusqu’au 30 juin 2012.
Sur la base de ces nouveaux textes, l’AFNIC a déjà publié la nouvelle charte du <.fr>. Pour ce qui est d’une nouvelle charte du <.re>, une concertation est en cours entre la Région Réunion, la CCI et l’AFNIC.


1 Cons. Constit, déc. N°2010-45 QPC, 6 oct 2010 : JO 7 oct. 2010, p 18156
2 Voir Marie Emmanuelle Haas, Le Conseil Constitutionnel consacre le nom de domaine, Journal du net 11/10/2010
3 Voir l’excellente analyse de Frédéric Sardain, Séisme pour le régime juridique des noms de domaine français, CCE N°1 janvier 2011
4 Voir l’analyse exhaustive de Nathalie DREYFUS, Nouvelle loi sur les noms de domaine du territoire français : évolution ou révolution ?, CCE N°6 juin 2011
5 Sur ce point, voir Marie Emmanuelle Haas, Le projet de loi sur le .FR : une occasion ratée, journaldunet.com ;
également du même auteur : Nouvelle loi sur le .FR : du difficile équilibre entre le droit des marques et droit des
noms de domaines, journaldunet.com .


FANSUBING et SCANTRAD : traduire c’est contrefaire !

Derrière cet anglicisme, le FANSUBING vise en réalité la traduction et le sous-titrage des séries télévisées étrangères non encore disponibles en France.


Sont concernées les séries américaines à succès ou encore les dessins animés japonais ; la chronologie des médias et des accords de diffusion de séries auprès des chaines télévisées s’en retrouvent bouleversés. Il existe également une variante du fansubing intitulée SCANTRAD (on parle aussi de SCANLATION) et qui s’applique au domaine de l’édition : des bandes dessinées étrangères (essentiellement des mangas japonais) sont scannées, traduites, insérées (les traductions prenant la place du texte d’origine dans les bulles) puis diffusées sur Internet.
 
Dans les deux cas, la traduction est au cœur du processus, et l’Internet le vecteur qui en favorise la diffusion généralement au sein de communautés de « fans » (pour une anatomie du fansubing, voir notre précédent article « Fansubing et droit d’auteur », 2004 disponible sur www.legalbiznext.com ).
 
Ainsi, plusieurs sites adeptes du fansubing et mettant à disposition les fameux sous-titres ont reçu une mise en demeure avant poursuites du Département juridique de la Warner Bros France. Celle-ci n’est pas sans rappeler celle envoyée par l’éditeur de bandes dessinées KANA quelques temps auparavant s’agissant du manga à succès NARUTO abondamment « scantradé ». Des mises en demeures qui anéantissement des idées faussement véhiculées sur une prétendue légalité de ces pratiques en raison de l’absence d’exploitation en France de certaines œuvres ou encore d’une prétendue « tolérance » des détenteurs de droits
 
Pourtant, si l’illégalité de ces pratiques ne peut être sérieusement contestée, elles témoignent cependant des attentes du public en faveur d’un accès plus rapide à des œuvres étrangères…
 
 
1. Les traductions et sous-titrages non autorisés sont illégaux
 
Qu’il s’agisse de fansubing ou de scantrad, l’illégalité de ces pratiques ne peut être sérieusement contesté. En effet, la protection des traductions et adaptations est expressément reconnue par l’article L 122-4 du code de propriété intellectuelle lequel dispose : « Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite. Il en est de même pour la traduction, l’adaptation ou la transformation, l’arrangement par un art ou un procédé quelconque ». Seul l’auteur est donc en droit d’autoriser la traduction de son œuvre et si oui de choisir laquelle il valide parmi plusieurs choix possibles.
 
Dès lors, la pratique du sous-titrage d’œuvres étrangères viole tant les droits moraux que les droits patrimoniaux de l’auteur 
 
Pour ce qui est des droits moraux, l’insertion des sous-titres au sein de l’œuvre originelle constitue une atteinte au droit au respect de l’intégrité de l’œuvre. L’adjonction du nom de l’équipe des auteurs des sous-titres dans le générique de série pour le fansubing ou sur la page de couverture pour le scantrad est quant à elle une atteinte au droit de paternité reconnu à l’auteur. Or les droits moraux sont perpétuels, inaliénables et imprescriptibles ; ils survivent à l’auteur par la transmission aux héritiers lesquels pourront continuer à les exercer par delà le temps (article L 121-1 du CPI).
 
En ce qui concerne les droits patrimoniaux, la diffusion non autorisée de l’œuvre incrustée de ses sous-titres porte atteinte tant aux droits de reproduction qu’aux droits de représentation reconnus à l’auteur, ce que la jurisprudence a pu confirmer à plusieurs reprises au sujet du téléchargement, du partage de fichier via des logiciels peer to peer, ou encore des plateformes de streaming.
 
L’absence d’exploitation de certaines œuvres en France, série ou bandes dessinées, n’est pas une raison suffisante permettant de légitimer le fansubing ou le scantrad : d’une part les œuvres étrangères sont protégées en vertu des conventions internationales ; ainsi l’article 5 de la convention de Berne applique le principe de l’assimilation au national au détenteur des droits d’une œuvre étrangère ressortissant d’un pays membre de la convention. Par ailleurs, l’article L 111-4 du CPI offre la protection du droit d’auteur français aux œuvres issues d’un pays étranger sous réserve de réciprocité. Même en l’absence de réciprocité, le même article L 111-4 impose le respect du droit de paternité et d’intégrité de l’œuvre.
 
Enfin, l’éditeur du site Internet offrant des œuvres étrangères sous-titrés soit en téléchargement, soit en streaming peut voir sa responsabilité engagée. De plus, si après mise en demeure l’éditeur du site ne supprime pas les contenus dénoncés, le requérant pourra alors s’adresser à l’hébergeur afin qu’il coupe l’accès au site litigieux, sous peine d’engager sa propre responsabilité (loi pour la confiance dans l’économie numérique du 21 juin 2004). C’est la raison pour laquelle Warner Bros a mis en demeure plusieurs sites spécialisés dans le sous-titrage de cesser leur activité, ce qui laisse présager une action contre l’hébergeur en cas de non exécution.
 
Les arguments juridiques ne manquent donc pas pour démontrer l’illégalité de la pratique en l’état actuel du droit et les moyens pour y faire face. A ce jour, la contrefaçon d’œuvre littéraire et artistique reste punie d’un maximum de 3 ans d’emprisonnement et 300 000 € d’amende (art L 335-2 du CPI). Les évolutions du droit d’auteur suite à la loi DADVSI de 2006, sur lutte contre la contrefaçon en 2007 et prochainement HADOPI en 2009 s’inscrivent dans le sens d’un durcissement de la répression.
 
Pourtant et en dépit de leur illégalité, le fansubing et le scantrad traduisent également les attentes d’un jeune public qui souhaite accéder à des œuvres étrangères, ce que la technologie rend aujourd’hui possible. Une évolution du fansubing et du scantrad dans le sens de services légaux est elle envisageable ?
 
 

2. Quel avenir pour les traductions et le sous-titrage ?
 
Derrière la question du sous-titrage en ligne, c’est une problématique plus générale qui apparaît : celle de l’accès à des œuvres étrangères.
 
Traditionnellement, le consommateur devrait attendre qu’un éditeur ou producteur décide d’acheter les droits de l’œuvre étrangère pour que celle-ci devienne accessible au public français. Cette décision dépend en pratique de plusieurs paramètres : succès effectif de l’œuvre dans son pays d’origine ou dans d’autres pays, montant des droits, coût du doublage français, diffusion télévisée et sorties DVD, retombées financières estimées… L’investissement est conséquent ! Pour ces raisons, certaines œuvres étrangères peuvent très bien ne jamais être diffusées en France ou alors diffusée très tardivement
 
Or avec Internet, cette chronologie traditionnelle n’a plus lieu d‘être : c’est tout un catalogue d’œuvres étrangères qui devient immédiatement accessible à portée de clic pour les internautes. Chaque œuvre possède son propre site web officiel et diffuse des informations sur l’intrigue et les personnages, le public peut exprimer et échanger son avis… Tout cela contribue à un buzz mondial sur la toile avant même que l’œuvre ne soit disponible en France (exemple avec la série télévisée « Heroes » ou le manga « Naruto »). Il est dès lors extrêmement facile de connaître quelle œuvre rencontre un fort succès auprès du public au Japon ou aux Etats-Unis en ce moment même.
 
C’est là que le sous-titrage prend toute son importance : il permet d’abolir les barrières de la langue et des exclusivités géographiques de diffusion en rendant instantanément accessible en France une œuvre étrangère. Même lorsqu’une œuvre est déjà accessible en France mais avec un décalage par rapport à la diffusion dans le pays d’origine, le sous-titrage associé aux techniques de streaming ou de peer to peer permet désormais aux « fans » de ne pas attendre la diffusion française tardive. Le doublage en français n’est plus une priorité puisque ces derniers s’accommodent de traductions sous-titrées dès lors que celles-ci sont le plus fidèle possible au sens originel. L’engouement pour le sous-titrage en ligne est révélateur des attentes du public pour un accès instantanée aux œuvres étrangères… et certaines société d’édition ont pu s’inspirer du succès d’œuvres sous-titrés pour identifier les droits des séries étrangères à acheter et à commercialiser en France. 
 
Cependant, même si le fansubing ou le scantrad sont techniquement intéressants, il n’en demeure pas moins que l’auteur de l’œuvre ainsi traduite et sous-titrée subit une atteinte indéniable à ses droits ainsi qu’un préjudice incontestable du fait de l’exploitation non autorisée de celle-ci : le fansubing concurrence directement le marché des DVD tout comme le Scantrad affecte celui de l’édition de livres ; les licences chèrement acquises par les sociétés de production française sont menacées ; certaines maison de production feraient faillite ! Contrairement au prétendu « code d’honneur des fansuber », la pratique ne s’éteint pas sitôt l’œuvre étrangère exploitée en France (en témoigne la réponse vigoureuse du site « Puissance Naruto » dénonçant le droit de l’éditeur de manga Kana à les mettre en demeure de cesser leurs activités et la pléthore de sous-titre toujours disponibles).
 
Une offre légale d’œuvres étrangères sous-titrées est elle envisageable ?
 
En effet, ne pourrions-nous pas envisager une commercialisation de sous-titres de traduction approuvés par l’auteur directement auprès du public par la société de production étrangère originelle détentrice des droits d’exploitation ? Par exemple, la chaine américaine FOX ne pourrait-elle pas offrir des « webisodes » des séries qu’elle produit en téléchargement ou streaming payants avec des sous-titres dans différentes langues et immédiatement accessibles pour tous les pays du monde ? Idéalement, des formules d’abonnement pourraient être envisagées pour les internautes les plus gourmands. L’idée n’est pas hypothétique puisqu’en matière d’animation japonaise, certaines sociétés de production outre atlantique comme Wizmedia, Wakanim ou encore Crunchyroll.com ont franchis le pas en offrant des dessins animés en streaming payant à peine quelques heures après leur diffusion au Japon.
 
Cela implique nécessairement de repenser les économies culturelles et les circuits de diffusion classique des œuvres en tenant compte des possibilités inédites offertes par les techniques nouvelles. Regrettablement, le projet de loi HADOPI semble avoir banni un tel effort de réflexion autour d’un nouveau modèle à inventer réconciliant auteurs et consommateurs… Pourtant, de plus en plus de consommateurs préfèrent aujourd’hui accéder à du contenu en podcast au détriment de la télévision classique. Certes, il serait illusoire de croire qu’une telle offre légale éradiquerait la question générale du piratage puisque la gratuité et le partage semblent être devenus la règle adoptée par les contrevenants ; toutefois il n’est pas impossible qu’une partie importante du public friande d’œuvres étrangères et soucieuse d’y accéder dans la légalité y réponde favorablement ce qui aurait l’avantage de limiter le phénomène et de permettre aux détenteurs de droits d’obtenir une rémunération à laquelle ils ont droit.
 
Comme le soulignait justement le Professeur Vivant lors d’une célèbre conférence prononcée en 2 000 à l’Université de tous les savoirs : il y a certainement un « nouveau paradigme à rechercher » pour les propriétés intellectuelles à l’ère des nouvelles technologies…

Michel Vivant : Propriété Intellectuelle et Nouvelles Technologies, à la recherche d'un nouveau paradygme

Cette conférence de mon professeur Michel Vivant ( http://master.sciences-po.fr/droit/content/michel-vivant ) prononcée en 2000 à l'Université de tous les savoirs constitue une excellente entrée en matière dans l'immatériel à l'heure des nouvelles technologies.

Bien que datant de près de 15 ans maintenant, ce discours reste cependant toujours d'actualité et montre que le raisonnement proposé par Michel Vivant était plus que jamais avant-gardiste!

Lien vers une retranscription écrite de la conférence :
http://severino.free.fr/archives/texteslocaux/michelvivantnouveauparadigme.html

Lien

lundi 4 mars 2013

Cyberespaces : Quels enjeux et quelles frontières ?

Nouveau blog, nouveau regard sur un monde virtuel en constante évolution et ou les enjeux sont sensibles, tant pour la protection des personnes que pour la préservation des fruits intellectuels.


Si l’Internet est souvent associé à l’idée de liberté, cette dernière ne saurait perdurer sans frontières. Ce premier billet dresse la scène de la complexité des situations générés par le cyberespace et auquel ce blog se propose d’apporter un décryptage.
 
 
« Gouvernements du monde industriel, géants fatigués de chair et d’acier, je viens du cyberespace, nouvelle demeure de l’esprit. Au nom de l’avenir, je vous demande, à vous qui êtes du passé, de nous laisser tranquilles. Vous n’êtes pas les bienvenus parmi nous. Vous n’avez aucun droit de souveraineté sur nos lieux de rencontre (…)
 
Vos notions juridiques de propriété, d’expression, d’identité, de mouvement et de contexte ne s’appliquent pas à nous. Elles se fondent sur la matière. Ici, il n’y a pas de matière (…)
 
Dans notre monde, tout ce que l’esprit humain est capable de créer peut être reproduit et diffusé à l’infini sans que cela ne coûte rien. La transmission globale de la pensée n’a plus besoin de vos usines pour s’accomplir (…)
 
Nous allons créer une civilisation de l’esprit dans le cyberespace. Puisse-t-elle être plus humaine et plus juste que le monde que vos gouvernements ont créé. »
 
John Perry Barlow, Déclaration d’indépendance du Cyberespace, 1996.
 
En 1996, John Perry Barlow (activiste américain co-fondateur de l’Electronic Frontier Foundation et considéré comme un des « gourous » du net), écrivit une célèbre « Déclaration d’indépendance du Cyberespace » dont quelques extraits choisis sont reproduits ci-dessus. Nous étions aux débuts de l’Internet grand public.
 
Pour provocante qu’elle soit, cette déclaration n’en demeure pas moins intéressante puisqu’elle posait clairement la question de l’applicabilité ou non des règles juridiques régissant le monde réel à un espace totalement virtuel : l’Internet !
 
L’Internet, est-il un Eldorado virtuel ou la liberté serait le maitre mot sans qu’aucune limite ne puisse y être portée ? Si oui, comme le soutient M. Barlow, alors il n’y aurait aucune propriété, aucune restriction, aucune contrainte s’imposant aux internautes qui bénéficieraient d’un blanc seing pour agir en ligne sans aucunes limites ! Seule compterait la transmission globale de la pensée ce qui avait poussé M. Barlow à écrire également : « Everything you always knew about Intellectual Property is wrong ! ».++++
 
Le cyberespace ne doit pas échapper à la législation
 
Quinze ans plus tard, à l’aube du web 3.0, la portée de cette déclaration doit être relativisée : les Etats ont adoptés des textes de loi destinés à régir l’Internet ou plus exactement encadrer l’exercice des libertés sur Internet (US Digital Millenium Copyright Act 1998, Directives européennes Commerce Electronique, DADVSI, Données personnelles….) ; une jurisprudence foisonnante et souvent novatrice montre chaque jour que l’Internet n’est pas une zone de non-droit et que les règles juridiques du monde réel peuvent parfaitement embrasser les situations inédites du monde virtuel sans qu’il soit besoin d’inventer un nouveau droit pour ce nouveau monde.
 
Aujourd’hui, il n’est plus contestable que le cyberespace n’échappe pas à la législation du monde réel, que celle-ci est même INDISPENSABLE pour pouvoir préserver la liberté régnant sur l’Internet. Toute liberté n’a-t-elle pas besoin de bornes pour pouvoir perdurer ?
 
Au contraire, la fulgurante évolution du Cyberespace et de ce que l’on nomme les Technologies de l’Information et de la Communication posent en permanence de nouvelles problématiques, de nouveaux défis avec à la clef des enjeux cruciaux !
 
Ainsi les autoroutes de l’information prennent d’abord la forme de câbles de fibres optiques souterrains voire sous-marins permettant de raccorder les pays à l’Internet haut-débit. A coté de la route du pétrole et du gaz, la route des câbles de télécommunications a fait son apparition. Les enjeux qui y sont liés sont considérables comme l’illustre l’historique des tarifs du câble SAFE qui est pour l’heure le seul à assurer la connectivité de La Réunion aux backbones mondiaux.
 
De même le développement de l’économie numérique, même en temps de crise si l’on se fie aux informations de la FEVAD (Fédération du E-commerce et de la Vente à Distance), témoigne de la vitalité du secteur http://www.fevad.com/images/Etudes/autres_etudes/chiffres_cle_2009.pdf ). Ce qui fait l’originalité du e-commerce, ce n’est pas seulement que l’ensemble de la transaction soit dématérialisé (contrat en ligne), c’est aussi que l’objet même de la transaction porte sur une prestation dématérialisée : téléchargement de logiciels, achat de fichiers musicaux, accès à une base de données en ligne… Les comportements ont évolués et les consommateurs sont devenus des CYBERCONSOMMATEURS réclamant le bénéfice de protection accrue face aux incertitudes du net. Comment assurer cette protection ?++++
 
Une cybercriminalité en vogue
 
Dans ce monde totalement dématérialisé, tout n’est qu’information. Or derrière le vocable « information », l’acte de création intellectuelle reste permanent. Même si les technologies sans cesse plus performantes permettent de reproduire et rendre accessible à l’infini des « informations », celles-ci n’en demeurent pas moins protégées par des droits de propriété intellectuelle, dont l’une des finalités est d’assurer une rémunération à ses titulaires sans qui l’effort créatif n’existerait pas. Or, bousculé par l’insolence des techniques et des utilisateurs, la propriété intellectuelle doit elle s’effacer devant la gratuité revendiquée par les internautes sans qu’une quelconque rémunération puisse être offerte aux créateurs ?
 
Et que dire de la multiplication des réseaux sociaux en ligne lesquels aspirent toujours plus la vie privée des individus pour l’exhiber, la valoriser, voire la commercialiser ? Si l’Internet permet de rapprocher les individus, n’est ce pas au sacrifice du véritable contact humain auquel on privilégie désormais le contact du clavier. Dans cet immense concert des clics et des téléchargements, le profilage des individus et la marchandisation des données personnelles imposent que des garanties soient apportées à la protection des personnes. 
 
Enfin, l’apparition d’une délinquance désormais électronique, révèle une nouvelle forme de déviance ainsi que les limites du « tout liberté ». La CYBERCRIMINALITE revêt ainsi de multiples visages : mail bombing, phishing, fraude informatique, pédopornographie… Des infractions inédites ayant pour support le cyberespace et auxquels des réponses adaptées ont du être apportées.
 
Les quelques exemples ci-dessus illustrent toute la complexité des situations générées par le Cyberespace et la nécessité de poser des frontières à celui-ci justement pour préserver les libertés de chacun.
 
Tel est l’objet d’étude de ce nouveau blog : offrir un décryptage des enjeux du cyberespace et de l’économie numérique, des libertés en jeu et des frontières applicables ; offrir au lecteur un regard critique sur un domaine pointu ou l’intervention du droit est souvent mal comprise. Qu’il s’agisse de la loi HADOPI, ou de la récente condamnation du site e-bay pour contrefaçon de marques, ce blog se propose de poser un à un les enjeux du débat afin d’éveiller et d’alerter l’esprit critique du lecteur pour qu’il se saisisse lui aussi de ces problématiques souvent jugés très techniques.
 
Car, le secteur des TIC reste porteur de croissance et de richesses malgré les incidences de la crise financière actuelle. La matière première ce n’est plus le charbon et l’acier, mais plutôt la faculté de pouvoir accéder à tel ou tel service ou encore à tel ou tel RESEAU. C’est dans cette « civilisation de l’accès » dans laquelle nous vivons aujourd’hui (pour paraphraser l’économiste américain Jérémy Rifkin, The age of access, 2000 : http://www.demo.magusine.net/IMG/pdf/jeremy_rifkin_acces.pdf ) qu’il nous faut également développer et valoriser notre savoir faire afin de positionner la Réunion comme un laboratoire compétitif de matière grise !