Suite à la QPC du 6 octobre 2010, l’équilibre juridique
du droit français des noms de domaines avait été ébranlé par le Conseil
Constitutionnel : en déclarant inconstitutionnel leur régime
d’attribution et de gestion, c’est à une refonte totale du système
législatif et réglementaire d’attribution des noms de domaine
qu’imposait la Haute Cour. La loi n° 2011-302 du 22 mars 2011 dernier
remplit cet objectif en mettant un place un nouveau cadre juridique
applicable aux noms de domaines. Toutes les extensions françaises sont
concernées y compris le <.re> qui reste régit par l’AFNIC jusqu’au
30 juin 2011.
1. L’inconstitutionnalité de l’article L 45 CPCE
Décidément le nouvel instrument juridique qu’est la Question
Prioritaire de Constitutionalité offre désormais des moyens inédits
permettant de remettre en cause des situations juridiques que l’on
pensait acquise. Il en est ainsi de la question des noms de domaines
régit par l’article L 45 du Code des Postes et Communications
Electroniques (CPCE). Cet article issu de la loi su 9 juillet 2004 sur
les communications électroniques, permettait au Ministre en charge des
Communications Electronique de désigner les organismes chargé
d’attribuer et de gérer les noms de domaines français (exemple :
l’AFNIC) et renvoyait au décret du 6 février 2007 le soin de déterminer
les conditions précises d’attribution et de gestion de ces noms de
domaines. C’est sur la base de ces textes que l’Arrêté du 19 février
2010 désignait l’AFNIC comme organisme en charge de cette mission.
Or c’est justement cet arrêté pris par le Ministre en charge des
Communications Electroniques qui a fait l’objet d’un recours en
annulation introduit par M. Mathieu P. En contestant cet arrêté dans le
cadre d’une QPC, le requérant contestait également la conformité de
l’article L 45 du CPCE aux dispositions garanties par la Constitution.
Dans sa décision du 6 octobre 20101, la Haute Juridiction considère que
le législateur a commis une « incompétence négative » (càd qu’il
méconnait sa propre compétence) en déléguant entièrement le pouvoir
d’encadrer les conditions dans lesquelles les noms de domaines sont
attribués ou peuvent être renouvelés, attribués, refusés ou retirés. En
clair, c’est à la loi qu’il importait de déterminer ces éléments, non au
pouvoir réglementaire (décret, arrêté). Le Conseil Constitutionnel
abroge donc l’article L 45 qu’il juge inconstitutionnel et par voie de
conséquence tous les textes réglementaires pris sur son fondement.
Conséquence : c’est tout l’équilibre juridique sur lequel repose
l’AFNIC ainsi que les
procédures d’attribution et de gestion des noms de
domaines français qui sont mises en péril.
Toutefois, afin de préserver la sécurité juridique au vu du nombre
de noms de domaines déjà enregistrée, la Haute Cour retarde les effets
de l’abrogation au 1er juillet 2011. Elle précise expressément que « les
autres actes passés avant cette date en application des mêmes
dispositions ne peuvent être contestés sur le fondement de cette
inconstitutionnalité ».
Autrement dit, les dispositions actuelles perdureront jusqu’au 1er
juillet 2011 : l’AFNIC
conservera ses prérogatives et les noms de
domaines enregistrés auprès d’elle, que ce soit en <.fr> ou en
<.re> resteront acquis.
Cette décision consacre pour la première fois l’importance des noms
de domaines à la
lumière de la Constitution2, trois droits et libertés
constitutionnellement protégés étant
invoqués pour sanctionner
l’incompétence négative du législateur en la matière : la liberté
d’entreprendre, la liberté de communication et enfin le droit de
propriété3. En abrogeant l’article L 45 du CPCE, le juge constitutionnel
invitait le législateur à se saisir plus sérieusement de cette question
en adoptant un texte qui prenne en compte les griefs formulés avant la
date butoir du 1er juillet 2011. C’est aujourd’hui chose faite avec la
loi n° 2011-3 02 du 22 mars 2011.
2. Le nouveau cadre juridique applicable aux noms de domaine français
Entrée en vigueur le 1er juillet 2011, la loi n° 2011-302 du 22 mars
2011 i nstaure un cadre juridique nouveau pour les noms de domaines
français, qui figure aux articles L 45 et suivants du Code des Postes et
Communications Electroniques (CPCE)4. Sont concernés les noms de
domaines de premier niveau correspondants aux codes pays du territoire
national ou d’une partie de celui-ci : <.fr> France, <.gf>
Guyane Française, <.gp> Guadeloupe, <.mq>Martinique,
<.yt> Mayotte, <.re> La Réunion, <.pm> Saint Pierre et
Miquelon, <.bl> Saint Barthelemy, <.mf> Saint Martin,
<.tf> Terres australes et antarctiques françaises, et <.wf>
Wallis et Futuna.
Désormais ces noms de domaines pourront être enregistrés par toute
personnes physique ou morale domiciliée sur le territoire de l’Union
Européenne : c’est une nouveauté par rapport à l’ancienne réglementation
laquelle restreignait l’enregistrement aux seules personnes domiciliées
en France, ou encore s’agissant des noms de domaines territoriaux comme
le <.re>, aux personnes justifiant d’un domicile sur le dit
territoire. Toutefois cette disposition n’entrera en vigueur qu’à partir
du 31 décembre 2011. L’ouverture des noms de domaines français à toute
personne domiciliée sur le territoire européen devrait entrainer une
augmentation significative des demandes d’enregistrements, en
particulier s’agissant des extensions d’outre mer : jusqu’à présent ces
extensions connaissaient un faible succès, en particulier en raison des
conditions très restrictives d’enregistrement. Il existait de plus de
réelles difficultés pour faciliter l’évolution des chartes applicables à
l’image de celle du <.re> qui n’a regrettablement pas suivi
toutes les évolutions du <.fr>. La nouvelle loi remédie
aujourd’hui à ces imperfections.
Si le principe du « premier arrivé, premier servi » est confirmé, il
est également précisé que l’enregistrement se fait sous la
responsabilité du demandeur. Ainsi, un enregistrement peut être refusé
ou supprimé « lorsque le nom de domaine est :
1° Susceptible de porter atteinte à l’ordre public o u aux bonnes moeurs
ou à des droits garantis par la Constitution ou par la loi ;
2° Susceptible de porter atteinte à des droits de p ropriété
intellectuelle ou de la personnalité, sauf si le demandeur justifie d’un
intérêt légitime et agit de bonne foi ;
3° Identique ou apparenté à celui de la République française, d’une
collectivité territoriale ou d’un groupement de collectivités
territoriales ou d’une institution ou service public national ou local,
sauf si le demandeur justifie d’un intérêt légitime et agit de bonne
foi ».
On peut s’interroger sur la difficile conciliation des notions d’intérêt
légitime et de bonne foi avec le droit des marques en cas de conflit
entre une marque déposée et un nom de domaine : en effet, le délit de
contrefaçon de marque ne connaît pas d’exception de bonne foi. Comment
dès lors articuler ces exceptions nouvelles propres aux noms de domaines
avec la cohérence du droit des marques lorsque la protection de ce
dernier est invoquée face à un nom de domaine contrefaisant ? Il y a
manifestement un écueil de la loi5.
Nonobstant cette insuffisance, les notions d’intérêt légitime et de
mauvaise foi sont explicitées dans le décret n° 2011-926 du 1er août
2011 :
« Peut notamment caractériser l’existence d’un intérêt légitime… le
fait, pour le demandeur ou le titulaire d’un nom de domaine :
– d’utiliser ce nom de domaine, ou un nom identique ou apparenté,
dans le cadre d’une offre de biens ou de services, ou de pouvoir
démontrer qu’il s’y est préparé ;
–d’être connu sous un nom identique ou apparenté à ce nom de domaine, même en l’absence de droits reconnus sur ce nom ;
– de faire un usage non commercial du nom de domaine ou d’un nom
apparenté sans intention de tromper le consommateur ou de nuire à la
réputation d’un nom sur lequel est reconnu ou établi un droit.
« Peut notamment caractériser la mauvaise foi… le fait, pour le demandeur ou le titulaire d’un nom de domaine :
– d’avoir obtenu ou demandé l’enregistrement de ce nom
principalement en vue de le vendre, de le louer ou de le transférer de
quelque manière que ce soit à un organisme public, à une collectivité
locale ou au titulaire d’un nom identique ou apparenté sur lequel un
droit est reconnu et non pour l’exploiter effectivement ;
– d’avoir obtenu ou demandé l’enregistrement d’un nom de domaine
principalement dans le but de nuire à la réputation du titulaire d’un
intérêt légitime ou d’un droit reconnu sur ce nom ou sur un nom
apparenté, ou à celle d’un produit ou service assimilé à ce nom dans
l’esprit du consommateur ;
– d’avoir obtenu ou demandé l’enregistrement d’un nom de domaine
principalement dans le but de profiter de la renommée du titulaire d’un
intérêt légitime ou d’un droit reconnu sur ce nom ou sur un nom
apparenté, ou de celle d’un produit ou service assimilé à ce nom, en
créant une confusion dans l’esprit du consommateur ».
L’attribution des noms de domaine est assurée par des offices
d’enregistrement, par l’intermédiaire de bureaux d’enregistrement qui
devront être accrédités selon des règles transparentes et non
discriminatoires. C’est une autre nouveauté puisque sous l’ancienne
réglementation les bureaux d’enregistrement n’étaient liés à l’AFNIC que
par un simple contrat. Désormais la profession de bureau
d’enregistrement devient règlementée et est exercée sous le contrôle de
l’office d’enregistrement qui peut supprimer l’accréditation en
cas de
non respect des règles d’attribution des noms de domaines.
S’agissant des WHOIS, une disposition intéressante permet de lutter
contre la fourniture par les déposants d’informations inexactes : après
des avertissements restés infructueux, le nom de domaine pourra tout
simplement être supprimé, ce qui devrait avoir un réel effet dissuasif.
Enfin, les procédures de résolution des litiges sont également
refondues : le nouvel article L 45-6 du CPCE prévoit que toute personne
démontrant un intérêt à agir peut demander à l’office d’enregistrement
compétent la suppression ou le transfert à son profit d’un nom de
domaine lorsque celui-ci n’est pas conforme aux conditions
d’enregistrement. L’office statue dans un délai de deux mois selon une
procédure contradictoire fixée par son règlement intérieur qui peut
prévoir l’intervention d’un tiers choisi dans des conditions
transparentes, non discriminatoires et rendues publiques. Il est précisé
que les décisions prises par l’office sont susceptibles de recours
devant le juge judiciaire.
Cette nouvelle procédure devrait remplacer les procédures PREDEC
ainsi que les deux PARL qui permettaient une résolution extrajudiciaire
des litiges, en parallèle des procédures judiciaires ou la jurisprudence
est désormais bien avancée. Reste que l’articulation d’une procédure
alternative de résolution des conflits avec un recours judiciaire est
une innovation dont il faudra mesurer la portée. En particulier,
permettra t elle d’octroyer des dommages et intérêt en cas de mauvaise
foi du déposant, ce qui permettrait d’avoir un effet dissuasif sur le
cybersquating ? Dans la négative, les procédures judiciaires devront
continuer à être privilégiées lorsque la sanction financière du
contrevenant est recherchée.
Bien qu’entrée en vigueur depuis le 1er juillet 2011, certaines
dispositions voient leur application retardée jusqu’au 31 décembre
2011 : c’est le cas s’agissant de l’ouverture des noms de domaines aux
personnes physiques et morales établies dans l’Union Européenne. De même
les offices d’enregistrement actuellement en place voient leur mandat
perdurer jusqu’au 30 juin 2012.
Sur la base de ces nouveaux textes, l’AFNIC a déjà publié la
nouvelle charte du <.fr>. Pour ce qui est d’une nouvelle charte du
<.re>, une concertation est en cours entre la Région Réunion, la
CCI et l’AFNIC.
1 Cons. Constit, déc. N°2010-45 QPC, 6 oct 2010 : JO 7 oct. 2010, p 18156
2 Voir Marie Emmanuelle Haas, Le Conseil Constitutionnel consacre le nom de domaine, Journal du net 11/10/2010
3 Voir l’excellente analyse de Frédéric Sardain, Séisme pour le régime
juridique des noms de domaine français, CCE N°1 janvier 2011
4 Voir l’analyse exhaustive de Nathalie DREYFUS, Nouvelle loi sur les
noms de domaine du territoire français : évolution ou révolution ?, CCE
N°6 juin 2011
5 Sur ce point, voir Marie Emmanuelle Haas, Le projet de loi sur le
.FR : une occasion ratée, journaldunet.com ;
également du même auteur :
Nouvelle loi sur le .FR : du difficile équilibre entre le droit des
marques et droit des
noms de domaines, journaldunet.com .