mardi 5 mars 2013

WIKI LEAKS : tout secret est-il bon à dévoiler ?

En divulguant 250 000 télégrammes diplomatiques américains classés confidentiels, le site WIKI LEAKS jette une véritable bombe dans l’univers de la diplomatie internationale. Jamais de telles divulgations n’auront eu une telle ampleur dans l’histoire des médias… et dans l’Histoire tout court !


Et pourtant WIKI LEAKS n’est pas le premier site à s’être spécialisé dans la communication de documents confidentiels : depuis plus de 10 ans, les sites CRYPTOME, SECRECY NEWS et STATEWATCH publiaient déjà des informations gouvernementales secrètes.
 
La différence avec WIKI LEAKS ? C’est l’hypermédiatisation volontairement orchestrée autour des publications du site. Une hypermédiatisation possible grâce au potentiel illimité de l’Internet décidément sans aucune frontières et qui permet d’informer, de publier et rendre instantanément accessible partout dans le monde ces fameux câbles diplomatiques si secrets. Internet est un acteur majeur du succès controversé de WIKI LEAKS !
 
Bien que l’origine et la validité de ces documents n’ont jamais été officiellement démentie par les autorités américaines, jusqu’au dernier moment, elles auront tout tenté pour empêcher leurs publications.
 
Or si ces publications ne constituent pas toutes des « révélations » forcément « fracassantes », elles offrent tout de même un regard inédit sur les coulisses de la diplomatie américaine en permettant de connaître, à coté de la langue de bois habituelle, la réalité de la perception américaine du monde. C’est en ce sens que ces fuites sont véritablement embarrassantes pour les Etats-Unis…mais aussi pour les personnalités visées par ces documents.
 
Une telle divulgation de masse de documents gouvernementaux confidentiels est elle souhaitable ? Est-elle légitime ?
 
Dans ce qui s’appelle désormais le CABLEGATE, la préservation du secret s’oppose au droit qu’aurait le citoyen à exiger la transparence sur les affaires publiques.
 
Secret contre droit à la transparence sur les affaires publiques
 
Au caractère confidentiel de ces documents, on invoque désormais un « droit à la transparence sur les affaires publiques » capable de justifier l’ampleur sans précédent de ces divulgations.
 
Or cette divulgation relève t-elle vraiment de l’intérêt général ? Comme le souligne à très juste titre le célèbre historien Thimothy Garton Arsh : « Il y a un intérêt public à savoir comment fonctionne le monde et ce que l’on y fait en notre nom. Il y a aussi un intérêt public à ce que la politique étrangère soit menée de façon confidentielle. Et ces deux intérêts sont contradictoires »[1].
 
En effet, dans la diplomatie internationale, « le secret est l’arme de la négociation »[2] : c’est à l’abri des projecteurs et du regard des citoyens que se négocie l’avenir des peuples. Car chaque partie officiellement en conflit pourra plus certainement infléchir sa position et faire des concessions qui, si elles étaient sues du public au moment même ou elles se déroulent, pourraient être interprétés comme des aveux de faiblesses. Ainsi, le secret offre un confort de négociation vers une solution d’équilibre à l’heure ou tout semble s’y opposer.
Et c’est justement ce culte de la diplomatie du secret qui est remis en question par toutes les revendications de transparence symbolisées aujourd’hui par WIKI LEAKS ! A l’image d’un Greenpeace des temps cybernétiques, WIKI LEAKS représenterait un nouveau mouvement de militantisme virtuel contre les grandes puissances du monde ou la lutte emprunterait la forme des jeux vidéo et des réseaux sociaux afin de donner une ampleur sans précédent à la cause. « La transgression, dans ce cas, change de nature. De moyen, elle devient une fin et constitue le cœur même de l’action »[3].
 
Ainsi, l’intérêt supérieur de la « cause » légitimerait toutes les atteintes, y compris celle de la violation du secret par des personnes qui en sont dépositaires quelles que puissent être les sanctions. Et c’est précisément à des sanctions lourdes auxquelles s’expose le jeune informaticien militaire de 22 ans qui a délibérément copié les données secrètes sur une simple clef USB en sifflotant sur une chanson de Lady Gaga pour ensuite les transmettre à WIKI LEAKS… Il risque aujourd’hui la cour martiale avec une peine pouvant aller jusqu’à 52 ans de prison ! 
 
Cette revendication de transparence bouleverse aujourd’hui tous les mécanismes de la diplomatie internationale et la lecture qu’on peut en faire : traditionnellement il faut patienter plusieurs dizaines d’années avant que des documents confidentiels soit déclassés et rendu publics puis décryptés, analysés par les historiens. Avec WIKI LEAKS, c’est au moment même ou les faits se déroulent, ou l’Histoire s’écrit que l’on découvre ébahis toute les tractations diplomatiques secrètes en cours : les journalistes, historiens et autres analystes n’ont pas à attendre demain pour pouvoir enfin comprendre les attitudes de la diplomatie américaine d’aujourd’hui, laquelle en ressort fortement ébranlée.
 
Et c’est ainsi que plusieurs journaux du monde ont entrepris d’étudier et restituer la substantifique moelle de ces 250 000 câbles, au titre du droit à l’information du public, principe fondamental déjà consacré à plusieurs reprises dans le droit des médias. C’est là que réside le fondement même de toute légitimité à la communication par les médias de ces documents, après analyse et vérification puisque le journaliste est astreint à une telle obligation avant publication.
 
Faire coexister les revendications de transparence avec l’exigence du secret
 
Faut-il pour autant considérer que ce droit à l’information du public soit une légitimité suffisante pour justifier les atteintes au secret dont WIKI LEAKS s’est fait le champion ? Non car je persiste à croire que le secret reste vitalement utile dans le grand concert des diplomaties, ne serait ce que parce qu’il contribue à trouver des solutions qui ne pourraient être obtenues si elles étaient exhibées sur la scène publique. Et même s’il existe également un principe général de transparence sur l’action administrative, matérialisé en France par la loi sur la Communication et l’Accès aux Documents Administratifs (dite loi CADA de 1978), l’article 6 de cette loi exclut expressément de la communicabilité tous documents couverts par le secret de manière générale.
 
Là où la saga WIKI LEAKS invite à réfléchir, c’est sur la question de l’écoulement du temps avant la levée du secret sur les archives : il peut être utile de raccourcir la durée de conservation de la confidentialité attachés à certains documents ce qui répondrait aux revendications de transparence sans pour autant menacer la pérennité des relations internationales en cours souvent imprégnées de confidentialité. En d’autre termes il s’agirait de faire coexister la transparence avec les impératifs du secret, voire même faire de la transparence un rempart contre les abus du secret : c’est en sachant que certains documents seront rapidement rendus publics qu’on peut aussi espérer une attitude loyale de nos dirigeants.
 
S’il est vrai qu’un tel déballage présente de réels dangers pour l’équilibre mondial, l’affaire WIKI LEAKS témoigne aussi d’un changement de poids sur l’échiquier international avec la prise en compte d’un nouveau paramètre, celui des nouvelles technologies de la communication et de l’information : en seulement deux clics, toute information diplomatique confidentielle peut devenir publique et faire le buzz sur la toile. Bien que chaque gouvernement va inévitablement resserrer ses rangs pour éviter que de nouvelles fuites ne surviennent, une brèche a tout de même été réalisée dans l’édifice : quand bien même le site web de WIKI LEAKS serait-il fermé, il y a fort à parier que de nombreux émules suivront la voie tracée par son fondateur Julian Assange dans la révélation en ligne de documents confidentiels, à l’image de ce qu’a été NAPSTER pour le partage de fichiers en ligne.
 
Certainement les législations du monde entier se durciront et créeront peut-être une infraction nouvelle portant spécifiquement sur la révélation de documents gouvernementaux confidentiels, menaçant ou pas la sureté de l’Etat, embarquant dans son giron non seulement l’auteur des révélations mais également toute personne, tous sites web qui relaieront ces révélations…
 
Il n’empêche que WIKI LEAKS aura montré que tout secret peut être révélé et diffusé en masse au jour le jour avec une facilité déconcertante quelles qu’en soient les conséquences ! De quoi inciter nos dirigeants à se montrer plus prudents voire peut être plus juste lorsqu’ils négocieront en notre nom, en prenant en compte le risque réel de voir leurs tractations dévoilées au grand jour à tout moment. 
 
Ainsi l’épée de Damoclès de la transparence, sans pour autant remettre en cause le rôle nécessaire du secret dans la diplomatie internationale, pourra t-elle peut-être jouer un rôle bénéfique au service de la paix des peuples….
 
Comme l’écrivit un illustre Père Fondateur des Etats-Unis Benjamin Franklin : « J’ai longtemps observé une règle (...). C’est simplement celle-ci, de ne m’occuper d’aucune affaire dont je puisse rougir en la rendant publique. »


[1] Thimothy Garton Arsh, Les documents secrets révélés par WIKILEAKS relèvent de l’intérêt général, Le Monde du 02.12.10
[2] Aurélien Colson, Fin du secret diplomatique, Le Monde du 14.12.10 http://www.lemonde.fr/idees/article...
[3] « Un vol réel par effraction, la destruction effective d’un bien appartenant à autrui sont des actes lourds et qui supposent une part difficile à assumer de violence physique. Au contraire, les aventuriers du Net se présentent volontiers comme des "doux". Leur violence se déploie dans un espace proche de celui des jeux vidéo, espace où rien n’est vraiment grave, où le joueur dispose de plusieurs vies, où le désir de gagner écarte toute préoccupation morale » Jean Christophe RUFIN, WIKI LEAKS ou la troisième révolte, Le Monde du 21.12.10
 

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