mardi 5 mars 2013

Noms de domaine : le grand chambardement !

Suite à la QPC du 6 octobre 2010, l’équilibre juridique du droit français des noms de domaines avait été ébranlé par le Conseil Constitutionnel : en déclarant inconstitutionnel leur régime d’attribution et de gestion, c’est à une refonte totale du système législatif et réglementaire d’attribution des noms de domaine qu’imposait la Haute Cour. La loi n° 2011-302 du 22 mars 2011 dernier remplit cet objectif en mettant un place un nouveau cadre juridique applicable aux noms de domaines. Toutes les extensions françaises sont concernées y compris le <.re> qui reste régit par l’AFNIC jusqu’au 30 juin 2011.



1. L’inconstitutionnalité de l’article L 45 CPCE
Décidément le nouvel instrument juridique qu’est la Question Prioritaire de Constitutionalité offre désormais des moyens inédits permettant de remettre en cause des situations juridiques que l’on pensait acquise. Il en est ainsi de la question des noms de domaines régit par l’article L 45 du Code des Postes et Communications Electroniques (CPCE). Cet article issu de la loi su 9 juillet 2004 sur les communications électroniques, permettait au Ministre en charge des Communications Electronique de désigner les organismes chargé d’attribuer et de gérer les noms de domaines français (exemple : l’AFNIC) et renvoyait au décret du 6 février 2007 le soin de déterminer les conditions précises d’attribution et de gestion de ces noms de domaines. C’est sur la base de ces textes que l’Arrêté du 19 février 2010 désignait l’AFNIC comme organisme en charge de cette mission.
Or c’est justement cet arrêté pris par le Ministre en charge des Communications Electroniques qui a fait l’objet d’un recours en annulation introduit par M. Mathieu P. En contestant cet arrêté dans le cadre d’une QPC, le requérant contestait également la conformité de l’article L 45 du CPCE aux dispositions garanties par la Constitution.
Dans sa décision du 6 octobre 20101, la Haute Juridiction considère que le législateur a commis une « incompétence négative » (càd qu’il méconnait sa propre compétence) en déléguant entièrement le pouvoir d’encadrer les conditions dans lesquelles les noms de domaines sont attribués ou peuvent être renouvelés, attribués, refusés ou retirés. En clair, c’est à la loi qu’il importait de déterminer ces éléments, non au pouvoir réglementaire (décret, arrêté). Le Conseil Constitutionnel abroge donc l’article L 45 qu’il juge inconstitutionnel et par voie de conséquence tous les textes réglementaires pris sur son fondement.
 
Conséquence : c’est tout l’équilibre juridique sur lequel repose l’AFNIC ainsi que les
procédures d’attribution et de gestion des noms de domaines français qui sont mises en péril.
Toutefois, afin de préserver la sécurité juridique au vu du nombre de noms de domaines déjà enregistrée, la Haute Cour retarde les effets de l’abrogation au 1er juillet 2011. Elle précise expressément que « les autres actes passés avant cette date en application des mêmes dispositions ne peuvent être contestés sur le fondement de cette inconstitutionnalité ».
Autrement dit, les dispositions actuelles perdureront jusqu’au 1er juillet 2011 : l’AFNIC
conservera ses prérogatives et les noms de domaines enregistrés auprès d’elle, que ce soit en <.fr> ou en <.re> resteront acquis.
Cette décision consacre pour la première fois l’importance des noms de domaines à la
lumière de la Constitution2, trois droits et libertés constitutionnellement protégés étant
invoqués pour sanctionner l’incompétence négative du législateur en la matière : la liberté d’entreprendre, la liberté de communication et enfin le droit de propriété3. En abrogeant l’article L 45 du CPCE, le juge constitutionnel invitait le législateur à se saisir plus sérieusement de cette question en adoptant un texte qui prenne en compte les griefs formulés avant la date butoir du 1er juillet 2011. C’est aujourd’hui chose faite avec la loi n° 2011-3 02 du 22 mars 2011.


2. Le nouveau cadre juridique applicable aux noms de domaine français
Entrée en vigueur le 1er juillet 2011, la loi n° 2011-302 du 22 mars 2011 i nstaure un cadre juridique nouveau pour les noms de domaines français, qui figure aux articles L 45 et suivants du Code des Postes et Communications Electroniques (CPCE)4. Sont concernés les noms de domaines de premier niveau correspondants aux codes pays du territoire national ou d’une partie de celui-ci : <.fr> France, <.gf> Guyane Française, <.gp> Guadeloupe, <.mq>Martinique, <.yt> Mayotte, <.re> La Réunion, <.pm> Saint Pierre et Miquelon, <.bl> Saint Barthelemy, <.mf> Saint Martin, <.tf> Terres australes et antarctiques françaises, et <.wf> Wallis et Futuna.

Désormais ces noms de domaines pourront être enregistrés par toute personnes physique ou morale domiciliée sur le territoire de l’Union Européenne : c’est une nouveauté par rapport à l’ancienne réglementation laquelle restreignait l’enregistrement aux seules personnes domiciliées en France, ou encore s’agissant des noms de domaines territoriaux comme le <.re>, aux personnes justifiant d’un domicile sur le dit territoire. Toutefois cette disposition n’entrera en vigueur qu’à partir du 31 décembre 2011. L’ouverture des noms de domaines français à toute personne domiciliée sur le territoire européen devrait entrainer une augmentation significative des demandes d’enregistrements, en particulier s’agissant des extensions d’outre mer : jusqu’à présent ces extensions connaissaient un faible succès, en particulier en raison des conditions très restrictives d’enregistrement. Il existait de plus de réelles difficultés pour faciliter l’évolution des chartes applicables à l’image de celle du <.re> qui n’a regrettablement pas suivi toutes les évolutions du <.fr>. La nouvelle loi remédie aujourd’hui à ces imperfections.
Si le principe du « premier arrivé, premier servi » est confirmé, il est également précisé que l’enregistrement se fait sous la responsabilité du demandeur. Ainsi, un enregistrement peut être refusé ou supprimé « lorsque le nom de domaine est :
1° Susceptible de porter atteinte à l’ordre public o u aux bonnes moeurs ou à des droits garantis par la Constitution ou par la loi ;
2° Susceptible de porter atteinte à des droits de p ropriété intellectuelle ou de la personnalité, sauf si le demandeur justifie d’un intérêt légitime et agit de bonne foi ;
3° Identique ou apparenté à celui de la République française, d’une collectivité territoriale ou d’un groupement de collectivités territoriales ou d’une institution ou service public national ou local, sauf si le demandeur justifie d’un intérêt légitime et agit de bonne foi ».

On peut s’interroger sur la difficile conciliation des notions d’intérêt légitime et de bonne foi avec le droit des marques en cas de conflit entre une marque déposée et un nom de domaine : en effet, le délit de contrefaçon de marque ne connaît pas d’exception de bonne foi. Comment dès lors articuler ces exceptions nouvelles propres aux noms de domaines avec la cohérence du droit des marques lorsque la protection de ce dernier est invoquée face à un nom de domaine contrefaisant ? Il y a manifestement un écueil de la loi5.

Nonobstant cette insuffisance, les notions d’intérêt légitime et de mauvaise foi sont explicitées dans le décret n° 2011-926 du 1er août 2011 :
« Peut notamment caractériser l’existence d’un intérêt légitime… le fait, pour le demandeur ou le titulaire d’un nom de domaine :

– d’utiliser ce nom de domaine, ou un nom identique ou apparenté, dans le cadre d’une offre de biens ou de services, ou de pouvoir démontrer qu’il s’y est préparé ;

–d’être connu sous un nom identique ou apparenté à ce nom de domaine, même en l’absence de droits reconnus sur ce nom ;

– de faire un usage non commercial du nom de domaine ou d’un nom apparenté sans intention de tromper le consommateur ou de nuire à la réputation d’un nom sur lequel est reconnu ou établi un droit.

 
« Peut notamment caractériser la mauvaise foi… le fait, pour le demandeur ou le titulaire d’un nom de domaine :

– d’avoir obtenu ou demandé l’enregistrement de ce nom principalement en vue de le vendre, de le louer ou de le transférer de quelque manière que ce soit à un organisme public, à une collectivité locale ou au titulaire d’un nom identique ou apparenté sur lequel un droit est reconnu et non pour l’exploiter effectivement ;

– d’avoir obtenu ou demandé l’enregistrement d’un nom de domaine principalement dans le but de nuire à la réputation du titulaire d’un intérêt légitime ou d’un droit reconnu sur ce nom ou sur un nom apparenté, ou à celle d’un produit ou service assimilé à ce nom dans l’esprit du consommateur ;

– d’avoir obtenu ou demandé l’enregistrement d’un nom de domaine principalement dans le but de profiter de la renommée du titulaire d’un intérêt légitime ou d’un droit reconnu sur ce nom ou sur un nom apparenté, ou de celle d’un produit ou service assimilé à ce nom, en créant une confusion dans l’esprit du consommateur ».

 
L’attribution des noms de domaine est assurée par des offices d’enregistrement, par l’intermédiaire de bureaux d’enregistrement qui devront être accrédités selon des règles transparentes et non discriminatoires. C’est une autre nouveauté puisque sous l’ancienne réglementation les bureaux d’enregistrement n’étaient liés à l’AFNIC que par un simple contrat. Désormais la profession de bureau d’enregistrement devient règlementée et est exercée sous le contrôle de l’office d’enregistrement qui peut supprimer l’accréditation en
cas de non respect des règles d’attribution des noms de domaines.
 
S’agissant des WHOIS, une disposition intéressante permet de lutter contre la fourniture par les déposants d’informations inexactes : après des avertissements restés infructueux, le nom de domaine pourra tout simplement être supprimé, ce qui devrait avoir un réel effet dissuasif. Enfin, les procédures de résolution des litiges sont également refondues : le nouvel article L 45-6 du CPCE prévoit que toute personne démontrant un intérêt à agir peut demander à l’office d’enregistrement compétent la suppression ou le transfert à son profit d’un nom de domaine lorsque celui-ci n’est pas conforme aux conditions d’enregistrement. L’office statue dans un délai de deux mois selon une procédure contradictoire fixée par son règlement intérieur qui peut prévoir l’intervention d’un tiers choisi dans des conditions transparentes, non discriminatoires et rendues publiques. Il est précisé que les décisions prises par l’office sont susceptibles de recours devant le juge judiciaire.
 
Cette nouvelle procédure devrait remplacer les procédures PREDEC ainsi que les deux PARL qui permettaient une résolution extrajudiciaire des litiges, en parallèle des procédures judiciaires ou la jurisprudence est désormais bien avancée. Reste que l’articulation d’une procédure alternative de résolution des conflits avec un recours judiciaire est une innovation dont il faudra mesurer la portée. En particulier, permettra t elle d’octroyer des dommages et intérêt en cas de mauvaise foi du déposant, ce qui permettrait d’avoir un effet dissuasif sur le cybersquating ? Dans la négative, les procédures judiciaires devront continuer à être privilégiées lorsque la sanction financière du contrevenant est recherchée.
 
Bien qu’entrée en vigueur depuis le 1er juillet 2011, certaines dispositions voient leur application retardée jusqu’au 31 décembre 2011 : c’est le cas s’agissant de l’ouverture des noms de domaines aux personnes physiques et morales établies dans l’Union Européenne. De même les offices d’enregistrement actuellement en place voient leur mandat perdurer jusqu’au 30 juin 2012.
Sur la base de ces nouveaux textes, l’AFNIC a déjà publié la nouvelle charte du <.fr>. Pour ce qui est d’une nouvelle charte du <.re>, une concertation est en cours entre la Région Réunion, la CCI et l’AFNIC.


1 Cons. Constit, déc. N°2010-45 QPC, 6 oct 2010 : JO 7 oct. 2010, p 18156
2 Voir Marie Emmanuelle Haas, Le Conseil Constitutionnel consacre le nom de domaine, Journal du net 11/10/2010
3 Voir l’excellente analyse de Frédéric Sardain, Séisme pour le régime juridique des noms de domaine français, CCE N°1 janvier 2011
4 Voir l’analyse exhaustive de Nathalie DREYFUS, Nouvelle loi sur les noms de domaine du territoire français : évolution ou révolution ?, CCE N°6 juin 2011
5 Sur ce point, voir Marie Emmanuelle Haas, Le projet de loi sur le .FR : une occasion ratée, journaldunet.com ;
également du même auteur : Nouvelle loi sur le .FR : du difficile équilibre entre le droit des marques et droit des
noms de domaines, journaldunet.com .


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