mardi 5 mars 2013

PROTEGER SA MARQUE SUR INTERNET



L’horizon illimité de l’Internet multiplie les possibilités de communication des entreprises autour de leurs marques de commerce.  Signe de ralliement d’une clientèle, la marque se décline désormais sous les diverses facettes du réseau qui facilitent la bonne visibilité de l’information : nom de domaine, liens hypertexte, meta tags… Ces éléments deviennent de nouveaux vecteurs de dissémination de la marque sur le net en vue de capter des consommateurs internautes. L’Internet contribue ainsi à gonfler le pouvoir attractif de la marque.

Une véritable stratégie Internet doit donc être pensée pour permettre à la marque de prospérer sur la toile ; toutefois cette stratégie ne doit pas se faire au détriment de la marque d’autrui : plusieurs pratiques permettent aujourd’hui de profiter indument du pouvoir attractif d’une marque et détourner la clientèle qui y est attaché.  Ainsi en est-il du Cybersquatting et du Typosquatting (1), du méta-tag squatting (2) ou encore de certains liens sponsorisés issus de l’achat de mots-clés (3).

Ces pratiques sont sanctionnées par la jurisprudence foisonnante en la matière et les entreprises doivent dès lors se montrer vigilantes.

1 - Le nom de domaine : halte au Cybersquatting et au Typosquatting

Techniquement, un nom de domaine consiste en une suite de nombre correspondant à l’adresse IP d’un site Internet, permettant de le retrouver dans l’immensité de la toile et d’y accéder. Cette suite de nombre est convertie en termes alphanumériques, « le nom de domaine », plus lisible et plus facile à mémoriser. Chaque nom de domaine est composé d’un radical (par exemple la marque) et d’un suffixe correspondant soit à une zone territoriale (.re pour La Réunion ; .fr pour la France ; .it pour l’Italie) soit à une activité (.com pour le commerce ; .org pour les associations à but non lucratif). L’attribution d’un nom de domaine dépend d’une association américaine, l’ICANN, ainsi que de tout organisme affinitaire (AFNIC pour la France). Traditionnellement, la règle est celle du « premier arrivé, premier servi ». Toute personne peut donc potentiellement enregistrer un nom de domaine quel qu’il soit.

Le nom de domaine représente une réelle valeur commerciale pour l’entreprise car il s’agit de « l’enseigne » sous laquelle son site Internet sera accessible sur la toile. Stratégiquement, les entreprises choisissent d’enregistrer leurs marques comme nom de domaine. Vitrine de l’entreprise, le site Internet pourra proposer des offres de commerce électronique pour une zone géographique déterminée. D’où l’intérêt d’enregistrer un .com pour une offre commerciale mondiale, un .fr pour une offre réservée à un public français, ou un .re pour le public réunionnais. L’exploitation paisible de la marque par un nom de domaine peut néanmoins être troublée par des pratiques illicites comme le Cybersquatting et le Typosquatting.

Le Cybersquatting consiste à enregistrer un nom de domaine correspondant à une marque appartenant à un tiers et à proposer à ce tiers de racheter ledit nom de domaine à un prix abusif. Par exemple, j’enregistre le nom de domaine Cora.com et j’offre à la société réunionnaise Cora de récupérer ce nom de domaine contre 10 000 €.

De même le Typosquatting consiste à enregistrer un nom de domaine très proche d’un autre nom de domaine en se basant sur les fautes d’orthographes potentielles que feraient les internautes en tabulant sur leurs claviers. Par exemple, enregistrer jptmail.com, le j et le o étant les lettres situés juste après le h et le o sur un clavier, pour « hotmail.com ». L’objectif de la manœuvre est de capter une partie du trafic attachée au site officiel afin d’opérer un détournement de clientèle.

Le droit des marques sanctionne vigoureusement ces deux pratiques :

  • D’une part, si la marque est déposée, l’enregistrement d’un nom de domaine identique ou similaire à la marque déposée constituera un acte de contrefaçon sanctionné par les tribunaux (TGI Paris, Réf, 25 mars 1997 affaire Framatome.com). Cette action est ouverte quelle que soit la classe de dépôt de la marque : il n’est pas besoin de réserver une classe 38 (correspondant aux produits et services de communications électronique dont l’Internet fait partie) pour pouvoir réclamer la protection, la contrefaçon s’appréciant au regard des seuls produits ou services indiqués dans l’enregistrement de la marque (Cass. 13 décembre 2005 affaire Localtour).


  • D’autre part et en l’absence de dépôt, une marque notoire pourra éventuellement obtenir gain de cause sur le terrain de la concurrence déloyale ou du parasitisme à condition d’apporter la preuve d’une part de la notoriété de la marque invoquée et d’autre part   une faute contraire aux usages du commerce causant un dommage. Dans ce cas, la faute pourra consister dans l’enregistrement d’un nom de domaine identique capable de créer la confusion dans l’esprit du public mais également dans le contenu du site Web lié au nom de domaine litigieux, si celui-ci offre notamment des produits ou services concurrents à ceux du site Web officiel.

Dans tous les cas, l’antériorité de la marque originelle par rapport à la marque illicite sera un critère déterminant pour apprécier l’illégalité de la pratique ; mais également l’exploitation ou la non exploitation du nom de domaine par l’un ou l’autre des sites Web sera prise en considération. Dans certains cas, un nom de domaine peut même constituer une antériorité capable d’empêcher le dépôt d’une marque postérieure.

Enfin, s’agissant du cas spécifique du Cybersquatting, des procédures de règlement amiable des litiges par le biais de l’arbitrage ont été mises en place pour ordonner le transfert d’un nom de domaine litigieux :

  • L’UDRP (Uniform Dispute Résolution Policy), procédure qui se déroule devant le centre d’arbitrage et de médiation de l’OMPI (Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle)
  • Le PARL du .fr et du .re (Procédures Alternatives de Règlement des Litiges), proposée par l’AFNIC, et menées selon la procédure choisie soit par le CMAP (Centre de Médiation et d’Arbitrage de Paris), l’OMPI, ou le Médiateur du Forum des droits de l’Internet

Ces procédures d’arbitrage sont basées sur des principes directeurs dont la preuve doit être rapportée par le demandeur :

  • la similitude ou le fort rapprochement du nom de domaine litigieux avec la marque du demandeur
  • l’absence de droit ou d’intérêt légitime au profit du défendeur sur le nom de domaine en cause
  • la mauvaise foi du défendeur

En cas de conflit, ces procédures d’arbitrage offrent l’avantage d’une solution rapide et efficace, pour un coût relativement peu élevé.



2 – Le meta-tag squatting : l’atteinte à la marque par le code source des pages Internet

Dans la jungle de l’Internet, la visibilité d’un site Web est cruciale : elle conditionne son accessibilité par les internautes, sa popularité voire même sa rentabilité pour les sites de commerce électronique. Dans cette jungle, les moteurs de recherche jouent un rôle stratégique : c’est par leur biais que les internautes bien souvent trouveront les sites correspondant à l’objet de leur recherche. Il est donc primordial pour tout site Internet d’être correctement référencé par ces moteurs afin dans l’idéal d’apparaître en tête des résultats lorsqu’un internaute lance une recherche.

Ce référencement s’opère par des balises ou « méta tags » figurant dans le code source des pages web que les moteurs de recherches indexent afin de pouvoir offrir des résultats lorsqu’une recherche est lancée. Ainsi, les logiciels automatiques des moteurs, communément appelés « robots » brassent les millions de pages web de l’Internet et les scannent à la recherche de ces fameuses balises, contenant des mots clés correspondant au contenu de chaque page. Selon les mots clefs insérés dans ces balises, la page web apparaitra dans les résultats affichés par toute requête utilisant ces mêmes mots clefs.

La tentation est alors forte, pour apparaître en tête des résultats des moteurs, d’insérer dans les balises méta des pages web des noms de marques connues à titre de mot clefs. Ainsi, en insérant « coca cola » comme méta tag de ses pages web, tout site vendant des produits directement concurrents (comme des sodas ou des jus de fruits) ou même non directement concurrent (des chaussures par exemple), apparaîtra dans la page de résultats affiché par le moteur lorsqu’un internaute lancera la recherche « coca cola ».

Grâce à cette technique, un concurrent profite indûment du pouvoir d’attractivité de la marque, d’autrui dont il détourne la clientèle, afin de pouvoir positionner ses propres produits et services.

Ce squattage d’une marque dans le code source des pages web ou « meta-tag squatting » est une technique dite de spamdexing : il s’agit d’un ensemble de techniques abusives de référencement  qui trompent l’indexation automatique faite par les moteurs de recherche afin de mieux positionner un site dans la page de résultat du moteur.

L’atteinte à la marque, qu’elle soit déposée ou notoire est évidente :

  • L’utilisation non autorisée de la marque d’autrui dans les méta-tags constitue un acte de contrefaçon sanctionnée par les tribunaux (TGI Nanterre 25 juinn 2002 Louis Vuitton c/ François D, SA Free ; CA Paris 3 mars 2000, SA Citycom c/ SA Chanel). Cette sanction est d’autant plus justifiée si l’insertion des méta-tags permet à un concurrent de coca cola par exemple  d’apparaître à coté du site officiel de coca cola : cette juxtaposition est nécessairement préjudiciable à la marque Coca cola qui subit là un détournement de sa clientèle, les internautes étant susceptibles de visiter les sites de concurrents.

  • La marque subit également un préjudice du fait d’un risque de confusion possible dans l’esprit du public, voire de parasitisme des sites concurrents : d’une part l’insertion d’une marque protégée dans un méta-tag peut constituer un comportement fautif contraire aux règles loyales du commerce, caractéristique de la concurrence déloyale ; d’autre part, en se plaçant délibérément dans le sillage de la marque déposée, les concurrents profitent indûment de ses efforts économiques ce qui peut être sanctionné sur le terrain du parasitisme (CA Paris 12 janvier 2005 Sté Kaligona c/ Sté Dreamex).  L’action en concurrence déloyale et l’action en parasitisme profiteront non seulement aux marques jouissant d’une renommée dépassant les seuls produits et services qu’elles désignent (comme coca cola par exemple) mais également aux signes distinctifs exclus des mécanismes de propriété intellectuelle à savoir le nom commercial, l’enseigne, la dénomination sociale, voire un même un autre nom de domaine régulièrement enregistré.

Dès lors, pour être licite, l’insertion de la marque d’autrui dans le méta-tag d’une page Internet nécessite l’autorisation expresse du titulaire de cette marque. Une telle autorisation pourra être négociée dans le cadre de contrats de référencement ou de contrats de partenariat intégrant des stratégies publicitaires et de communication. C’est ainsi que la société Pepsi Cola a intégré dans le code source de son site Web les noms des acteurs, sportifs, ou marques avec lesquels elle a conclu un contrat de publicité ou de sponsoring.


3 - Le position squatting : l’achat litigieux de marques à titre de mots clefs

La quête d’un positionnement incontournable sur la toile de l’Internet a poussé les moteurs de recherche à proposer aux entreprises des solutions innovantes tant en matière de référencement que de publicité.  Ainsi la pratique des liens sponsorisés consiste à vendre des mots-clés permettant de positionner le site web d’une entreprise parmi les premiers résultats d’une requête portant sur ces mêmes mots-clés ; ces résultats apparaissent en marge des résultats traditionnels dans une colonne intitulée « liens commerciaux ». Par exemple, l’entreprise Coca Cola  pourrait acheter les termes « soda » ou « boisson gazeuse » pour apparaître en tête des résultats pour toute requête de ces mêmes mots lancée par un Internaute sur le moteur de recherche Google.

En plein essor, les liens sponsorisés ont représenté un chiffre d’affaire de 2.16 milliards d’Euros en 2006 sur les 4,96 milliards d’euros du marché européen de la publicité interactive (source : Journal du Net citant une étude de Jupiter Research). C’est dire l’enjeu économique du positionnement publicitaire !

Comme pour le nom de domaine et les méta-tags, des manœuvres abusives sont venues polluer le marché des liens promotionnels, par l’utilisation frauduleuse de marques à titre de mots-clés. Ainsi, le « position squatting » consiste à acheter la marque d’un concurrent comme mot-clé afin de profiter du trafic Internet qu’il génère et bénéficier d’un meilleur affichage de son site Internet par les outils de recherche. Par exemple, une marque de soda inconnue du public qui achèterait le mot-clé « coca-cola » profiterait d’un positionnement avantageux au détriment de la marque déposée Coca Cola. Même si c’est l’annonceur qui choisit en connaissance de cause les mots-clés qui le référenceront, il arrive souvent que les outils de recherche inspirent ce choix en  proposant automatiquement plusieurs mots-clés parmi lesquels peuvent figurer des marques protégées (ex : le programme Adwords de Google). Pire : certaines associations de mots-clés peuvent porter préjudice à la marque (vuitton, fake, replica…) et conduire à des sites Internet illicites vendant des produits contrefaisants !

Plusieurs solutions s’offrent alors à la marque victime de position squating :

  • Engager la responsabilité de l’annonceur : en effet, l’article L 713-2 du Code de Propriété Intellectuelle (CPI) interdit la reproduction, l’usage ou l’apposition d’une marque reproduite sans l’autorisation préalable du titulaire de celle-ci, ainsi que « l’usage d’une marque reproduite pour des produits ou services identiques à ceux désignés dans l’enregistrement ». C’est sur cette base que le TGI de Paris a pu condamner des annonceurs pour contrefaçon de marques déposées (TGI Paris 13 février 2007 affaire Meetic). A défaut de dépôt, la marque pourra obtenir protection sur le terrain de la concurrence déloyale ou du parasitisme ; il conviendra de démontrer la faute de l’annonceur notamment par l’achat de mot clefs sans aucun rapport avec son activité commerciale avec pour effet un détournement de clientèle, « profitant du travail d’autrui sans bourse délier ».

  • Engager la responsabilité du moteur de recherche : sur la base du même article L 713-2 du CPI, plusieurs décisions de justices ont sanctionné l’outil de recherche pour contrefaçon en raison de leur rôle actif dans le choix des mots clefs suggéré aux annonceurs (CA Paris 1er février 2008 affaire Gifam, TGI Paris 4 février 2005 affaire Vuitton ; TGI Nanterre 17 janvier 2005 affaire Accor ; TGI Paris). A défaut de marque déposée, la concurrence déloyale ou le parasitisme restent invocables. Enfin, et c’est là une originalité : dans certaines affaires, le moteur de recherche a pu être condamné pour publicité trompeuse (affaire Vuitton précitée) en raison de la confusion dans l’esprit des internautes suscitée par l’affichage « liens commerciaux » pouvant laisser croire que les sites Internet affichés entretiennent des rapports commerciaux avec les sociétés victimes de position squatting (affaire Gifam précitée)

Les détenteurs de marques ont donc intérêt à être vigilants face aux pratiques de référencement publicitaires susceptibles d’utiliser leurs marques à leur insu ; à l’inverse, les moteurs de recherche et les annonceurs, devront faire preuve d’une extrême prudence dans le choix des mots-clés pour éviter les foudres du droit des marques.

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