Sont concernées les séries américaines à succès ou encore les
dessins animés japonais ; la chronologie des médias et des accords de
diffusion de séries auprès des chaines télévisées s’en retrouvent
bouleversés. Il existe également une variante du fansubing intitulée
SCANTRAD (on parle aussi de SCANLATION) et qui s’applique au domaine de
l’édition : des bandes dessinées étrangères (essentiellement des mangas
japonais) sont scannées, traduites, insérées (les traductions prenant la
place du texte d’origine dans les bulles) puis diffusées sur Internet.
Dans les deux cas, la traduction est au cœur du processus, et
l’Internet le vecteur qui en favorise la diffusion généralement au sein
de communautés de « fans » (pour une anatomie du fansubing, voir notre
précédent article « Fansubing et droit d’auteur », 2004 disponible sur www.legalbiznext.com ).
Ainsi, plusieurs sites adeptes du fansubing et mettant à
disposition les fameux sous-titres ont reçu une mise en demeure avant
poursuites du Département juridique de la Warner Bros France. Celle-ci
n’est pas sans rappeler celle envoyée par l’éditeur de bandes dessinées
KANA quelques temps auparavant s’agissant du manga à succès NARUTO
abondamment « scantradé ». Des mises en demeures qui anéantissement des
idées faussement véhiculées sur une prétendue légalité de ces pratiques
en raison de l’absence d’exploitation en France de certaines œuvres ou
encore d’une prétendue « tolérance » des détenteurs de droits
Pourtant, si l’illégalité de ces pratiques ne peut être
sérieusement contestée, elles témoignent cependant des attentes du
public en faveur d’un accès plus rapide à des œuvres étrangères…
1. Les traductions et sous-titrages non autorisés sont illégaux
Qu’il s’agisse de fansubing ou de scantrad, l’illégalité de ces
pratiques ne peut être sérieusement contesté. En effet, la protection
des traductions et adaptations est expressément reconnue par l’article L
122-4 du code de propriété intellectuelle lequel dispose : « Toute
représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le
consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est
illicite. Il en est de même pour la traduction, l’adaptation ou la
transformation, l’arrangement par un art ou un procédé quelconque ».
Seul l’auteur est donc en droit d’autoriser la traduction de son œuvre
et si oui de choisir laquelle il valide parmi plusieurs choix possibles.
Dès lors, la pratique du sous-titrage d’œuvres étrangères viole tant les droits moraux que les droits patrimoniaux de l’auteur
Pour ce qui est des droits moraux, l’insertion des sous-titres au
sein de l’œuvre originelle constitue une atteinte au droit au respect de
l’intégrité de l’œuvre. L’adjonction du nom de l’équipe des auteurs des
sous-titres dans le générique de série pour le fansubing ou sur la page
de couverture pour le scantrad est quant à elle une atteinte au droit
de paternité reconnu à l’auteur. Or les droits moraux sont perpétuels,
inaliénables et imprescriptibles ; ils survivent à l’auteur par la
transmission aux héritiers lesquels pourront continuer à les exercer par
delà le temps (article L 121-1 du CPI).
En ce qui concerne les droits patrimoniaux, la diffusion non
autorisée de l’œuvre incrustée de ses sous-titres porte atteinte tant
aux droits de reproduction qu’aux droits de représentation reconnus à
l’auteur, ce que la jurisprudence a pu confirmer à plusieurs reprises au
sujet du téléchargement, du partage de fichier via des logiciels peer
to peer, ou encore des plateformes de streaming.
L’absence d’exploitation de certaines œuvres en France, série ou
bandes dessinées, n’est pas une raison suffisante permettant de
légitimer le fansubing ou le scantrad : d’une part les œuvres étrangères
sont protégées en vertu des conventions internationales ; ainsi
l’article 5 de la convention de Berne applique le principe de
l’assimilation au national au détenteur des droits d’une œuvre étrangère
ressortissant d’un pays membre de la convention. Par ailleurs,
l’article L 111-4 du CPI offre la protection du droit d’auteur français
aux œuvres issues d’un pays étranger sous réserve de réciprocité. Même
en l’absence de réciprocité, le même article L 111-4 impose le respect
du droit de paternité et d’intégrité de l’œuvre.
Enfin, l’éditeur du site Internet offrant des œuvres étrangères
sous-titrés soit en téléchargement, soit en streaming peut voir sa
responsabilité engagée. De plus, si après mise en demeure l’éditeur du
site ne supprime pas les contenus dénoncés, le requérant pourra alors
s’adresser à l’hébergeur afin qu’il coupe l’accès au site litigieux,
sous peine d’engager sa propre responsabilité (loi pour la confiance
dans l’économie numérique du 21 juin 2004). C’est la raison pour
laquelle Warner Bros a mis en demeure plusieurs sites spécialisés dans
le sous-titrage de cesser leur activité, ce qui laisse présager une
action contre l’hébergeur en cas de non exécution.
Les arguments juridiques ne manquent donc pas pour démontrer
l’illégalité de la pratique en l’état actuel du droit et les moyens pour
y faire face. A ce jour, la contrefaçon d’œuvre littéraire et
artistique reste punie d’un maximum de 3 ans d’emprisonnement et 300 000
€ d’amende (art L 335-2 du CPI). Les évolutions du droit d’auteur suite
à la loi DADVSI de 2006, sur lutte contre la contrefaçon en 2007 et
prochainement HADOPI en 2009 s’inscrivent dans le sens d’un durcissement
de la répression.
Pourtant et en dépit de leur illégalité, le fansubing et le
scantrad traduisent également les attentes d’un jeune public qui
souhaite accéder à des œuvres étrangères, ce que la technologie rend
aujourd’hui possible. Une évolution du fansubing et du scantrad dans le
sens de services légaux est elle envisageable ?
2. Quel avenir pour les traductions et le sous-titrage ?
Derrière la question du sous-titrage en ligne, c’est une
problématique plus générale qui apparaît : celle de l’accès à des œuvres
étrangères.
Traditionnellement, le consommateur devrait attendre qu’un éditeur
ou producteur décide d’acheter les droits de l’œuvre étrangère pour que
celle-ci devienne accessible au public français. Cette décision dépend
en pratique de plusieurs paramètres : succès effectif de l’œuvre dans
son pays d’origine ou dans d’autres pays, montant des droits, coût du
doublage français, diffusion télévisée et sorties DVD, retombées
financières estimées… L’investissement est conséquent ! Pour ces
raisons, certaines œuvres étrangères peuvent très bien ne jamais être
diffusées en France ou alors diffusée très tardivement
Or avec Internet, cette chronologie traditionnelle n’a plus lieu
d‘être : c’est tout un catalogue d’œuvres étrangères qui devient
immédiatement accessible à portée de clic pour les internautes. Chaque
œuvre possède son propre site web officiel et diffuse des informations
sur l’intrigue et les personnages, le public peut exprimer et échanger
son avis… Tout cela contribue à un buzz mondial sur la toile avant même
que l’œuvre ne soit disponible en France (exemple avec la série
télévisée « Heroes » ou le manga « Naruto »). Il est dès lors
extrêmement facile de connaître quelle œuvre rencontre un fort succès
auprès du public au Japon ou aux Etats-Unis en ce moment même.
C’est là que le sous-titrage prend toute son importance : il permet
d’abolir les barrières de la langue et des exclusivités géographiques
de diffusion en rendant instantanément accessible en France une œuvre
étrangère. Même lorsqu’une œuvre est déjà accessible en France mais avec
un décalage par rapport à la diffusion dans le pays d’origine, le
sous-titrage associé aux techniques de streaming ou de peer to peer
permet désormais aux « fans » de ne pas attendre la diffusion française
tardive. Le doublage en français n’est plus une priorité puisque ces
derniers s’accommodent de traductions sous-titrées dès lors que
celles-ci sont le plus fidèle possible au sens originel. L’engouement
pour le sous-titrage en ligne est révélateur des attentes du public pour un accès instantanée aux œuvres étrangères…
et certaines société d’édition ont pu s’inspirer du succès d’œuvres
sous-titrés pour identifier les droits des séries étrangères à acheter
et à commercialiser en France.
Cependant, même si le fansubing ou le scantrad sont techniquement
intéressants, il n’en demeure pas moins que l’auteur de l’œuvre ainsi
traduite et sous-titrée subit une atteinte indéniable à ses droits ainsi
qu’un préjudice incontestable du fait de l’exploitation non autorisée
de celle-ci : le fansubing concurrence directement le marché des DVD
tout comme le Scantrad affecte celui de l’édition de livres ; les
licences chèrement acquises par les sociétés de production française
sont menacées ; certaines maison de production feraient faillite !
Contrairement au prétendu « code d’honneur des fansuber », la pratique
ne s’éteint pas sitôt l’œuvre étrangère exploitée en France (en témoigne
la réponse vigoureuse du site « Puissance Naruto » dénonçant le droit
de l’éditeur de manga Kana à les mettre en demeure de cesser leurs
activités et la pléthore de sous-titre toujours disponibles).
Une offre légale d’œuvres étrangères sous-titrées est elle envisageable ?
En effet, ne pourrions-nous pas envisager une commercialisation de
sous-titres de traduction approuvés par l’auteur directement auprès du
public par la société de production étrangère originelle détentrice des
droits d’exploitation ? Par exemple, la chaine américaine FOX ne
pourrait-elle pas offrir des « webisodes » des séries qu’elle produit en
téléchargement ou streaming payants avec des sous-titres dans
différentes langues et immédiatement accessibles pour tous les pays du
monde ? Idéalement, des formules d’abonnement pourraient être envisagées
pour les internautes les plus gourmands. L’idée n’est pas hypothétique
puisqu’en matière d’animation japonaise, certaines sociétés de
production outre atlantique comme Wizmedia, Wakanim ou encore
Crunchyroll.com ont franchis le pas en offrant des dessins animés en
streaming payant à peine quelques heures après leur diffusion au Japon.
Cela implique nécessairement de repenser les économies culturelles
et les circuits de diffusion classique des œuvres en tenant compte des
possibilités inédites offertes par les techniques nouvelles.
Regrettablement, le projet de loi HADOPI semble avoir banni un tel
effort de réflexion autour d’un nouveau modèle à inventer réconciliant
auteurs et consommateurs… Pourtant, de plus en plus de consommateurs
préfèrent aujourd’hui accéder à du contenu en podcast au détriment de la
télévision classique. Certes, il serait illusoire de croire qu’une
telle offre légale éradiquerait la question générale du piratage puisque
la gratuité et le partage semblent être devenus la règle adoptée par
les contrevenants ; toutefois il n’est pas impossible qu’une partie
importante du public friande d’œuvres étrangères et soucieuse d’y
accéder dans la légalité y réponde favorablement ce qui aurait
l’avantage de limiter le phénomène et de permettre aux détenteurs de
droits d’obtenir une rémunération à laquelle ils ont droit.
Comme le soulignait justement le Professeur Vivant lors d’une
célèbre conférence prononcée en 2 000 à l’Université de tous les
savoirs : il y a certainement un « nouveau paradigme à rechercher » pour
les propriétés intellectuelles à l’ère des nouvelles technologies…
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